12 février 2010

Lundstedt et sa théorie du droit: la mort de la morale?


Etudier à Lund m'a permis d'en découdre avec les forces obscures du réalisme scandinave, ce courant de la philosophie du droit que l'on peut rattacher, rapidement, à une forme de positivisme sociologique. La rédaction d'un mémoire en la matière me permet de nourrir ce blog d'une substance toute mirifique.


Ainsi, le belliqueux Suédois a bataillé pour ses convictions, dont j'ai surtout pris connaissance au travers de trois ouvrages anglophones -Legal Thinking Revisited, Superstition or reality in action for peace? et Law and Fact-, lesquelles pourraient être résumées à une croisade argumentative contre la "méthode de justice". Cette méthode renvoie à la théorie classique du droit, du moins celle dominante dans la première moitié du XXème siècle dont Lundstedt est contemporain. Elle consiste, selon lui, à établir incessamment des rapports logiques de cause à effet pour faire briller le système juridique d'une étincelante efficacité, laquelle n'est qu'absurde en vérité. Selon lui, toute tentative d'objectivisation du droit est vouée à l'échec car dépourvue de caractère scientifique. Il est illusoire de chercher à dégager des normes inaltérables vouées à réguler l'ordre social, objectives, alors même qu'au fond le sujet de droit n'est que l'individu, exigeant par là des normes subjectives. Et l'absurdité de la méthode est confirmée, poursuit-il, par la pratique judiciaire. Les juges font application de l'équité au sens du Common law, fût-ce sous un nom différent, pour adapter la résolution du litige aux exigences posées par la société. Autrement, une application rigide des cadres légaux serait dépourvue d'efficacité. Par exemple, la prohibition, c'est-à-dire l'interdiction absolue de consommer et vendre de l'alcool, ne saurait être socialement admise (!) et par conséquent ne peut être érigée au plan normatif.


Au contraire, il convient d'appliquer ce qu'il définit comme une méthode du Welfare, du bien être général si l'on veut. L'exigence scientifique qui doit guider la science juridique doit placer, empiriquement, le point de départ de ses travaux dans le fait social. C'est la raison pour laquelle on critiquera un tel modèle en termes de pratique, il parait délicat de porter dans l'absolu de tels principes. Les aspirations sociales étant par définition contingentes, on se demande comment respecter parfaitement un impératif qui consisterait à y adapter les règles en permanence. Pour ne rien dire du problème des conflits sociaux, car il semble être une gageure de tirer des enseignements généraux depuis une masse d'individus dont les avis divergeraient profondément. Néanmoins, Lundstedt prône une telle approche, en encourageant les juges s'y employer. Et rappelons qu'il a été lui-même un parlementaire social-démocrate influent, dont la jurisprudence suédoise pourrait bien être empreinte à jamais.


A réfléchir en termes moraux sur ce qui est dans une certaine mesure une théorie politique, bien que légaliste dans son approche, j'ai surtout pris conscience du frappant décalage entre son scepticisme réaliste et les théories kantiennes et néo-kantiennes. Pour aller vite, disons que la théorie du Welfare s'oppose radicalement à tout principe moral éthéré, savamment déduit à la façon de la Métaphysique des moeurs, ces principes mêmes qui guident l'action des institutions onusiennes, largement fondées sur la foi en un progrès collectif. Au contraire, il y oppose la crudité du subjectif qui ne saurait être abstraitement dépassée, construisant par là le sociologisme de sa conception. Il n'est en ce sens pas étonnant qu'à lire ces thèses après la seconde guerre mondiale, d'où Kant et le jus naturalisme sont sortis conceptuellement vainqueurs, on ait comme une impression de suranné.


Pour plus de fraîcheur, on se plongera dans les délices du néo-utilitarisme rawlsien et les riches débats théoriques qui se sont déroulés depuis la publication, en 1971, de sa pénétrante Théorie de la Justice. C'est son auteur qui décore l'article, en haut à gauche. A bon entendeur...

4 commentaires:

  1. J'ai une question qui n'a aucun rapport avec cet article.
    Est-ce que tu as joué dans "Elizabeth"?

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  2. Bonjour Nathalie,

    La réponse à ta question est oui ;)

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  3. Ok =)!
    La pièce était vraiment sympa, j'y suis allée avec une amie (française aussi)! Pour la première d'ailleurs. Ca a dû vous prendre du temps pour la monter, mettre en place la scénographie etc... Je n'ai pas vu "The importance of being earnest", donc je ne sais pas si la mise en scène était aussi travaillée, mais franchement félicitations!
    Tu jouais qui par curiosité? Un des français de la pièce ou un autre?

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  4. Merci beaucoup! Ça nous a pris deux mois -avec plus de 40 personnes concourant à la production- donc les choses ont été faites dans la précipitation. Je ne jouais pas un personnage français en revanche.

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