27 juin 2009

Les sept vies d'Antoine Pavlovitch Gojiznov









Une nouvelle de plus, inspirée principalement par les mésaventures d'un vieil ami. Qu'il en soit ici remercié, et souhaitons-lui plus de malheurs à venir afin d'éveiller encore l'inspiration artistique.


Antoine Pavlovitch Gojiznov n’était pas du genre à se laisser démonter par les évènements. Sa vie professionnelle, tout juste née, avait confirmé une personnalité forte, apte à surmonter la pression nerveuse des environnements de la gestion d’entreprise. Pourtant, cette aptitude à la résolution des conflits quotidiens trouvait ses limites en un domaine assurément délicat depuis l’existence de l’humanité : celui des relations avec le sexe faible, qu’il nommait d’ailleurs lui-même le « sexe absurde ».

Au cours d’un repas, il se confia même à un de ses amis, à peu près en ces termes : « Tu sais, je commence à avoir de l’expérience en la matière… Je ne crois guère à la réussite stéréotypée que l’on sert à gogo dans ces superproductions hollywoodiennes. Longtemps je me suis fait rouler, mais c’est fini maintenant. Je pourrais même dire que j’ai ressuscité par sept fois. Comme dans cette mythologie égyptienne dont on nous bourrait la cervelle autrefois. Mais sentimentalement parlant je veux dire. » Il ponctua ces quelques mots énigmatiques d’une solide rasade de vin, comme pour en terminer avec un goût amer. Son interlocuteur lui demanda ce qu’il voulait bien entendre par là. En vérité, il avait simplement fait allusion à la richesse d’un passé personnel construit comme un empilement colossal d’échecs. Cette flamboyante collection de déroutes avait marqué sa manière d’appréhender les relations entre hommes et femmes, et son esprit méditait désormais tranquillement sur une Sainte-Hélène spéculative, selon sa propre image. L’ampleur des désastres ne purent qu’aviver l’intérêt de son compagnon, qui l’empressa aussitôt d’en développer les péripéties.

« Fort bien ! » s’exclama-t-il, avant de narrer ses sept vies.

« Tout a commencé au lycée. Comme tu vois, cela remonte… J’avais environ 18 ans à l’époque. Ce qui m’intéressait, c’était surtout le jeu vidéo, et plus marginalement le football. Les études m’occupaient bien sur. Mais globalement j’étais un garçon classique de cet âge là, du moins en ai-je un peu l’impression maintenant. C’est donc là dedans qu’est venue éclater ma 1ère vie. Nommons-là Natacha, ça me fait rire d’user de noms totalement sans rapports avec ces filles. De mémoire, je ne crois pas avoir été séduit par elle du premier coup. Mais rapidement en tout cas, j’en suis tombé pleinement amoureux, au sens passionné du terme, à supposer qu’il revête un quelconque sens. Je n’osais pas, bien sur, lui parler. Nous nous contentions de quelques rapports amicaux, et on restait dans nos groupes de part et d’autre, sans proximité particulière. Quand j’ai senti que c’était trop prenant pour ne pas tourner la page, j’ai décidé d’agir. Note bien qu’à cet âge là on est jeune encore… Alors, j’ai voulu lui exprimer la sincérité de mes sentiments. Au détour d’une conversation à thème historique, sur les camps de concentration d’ailleurs, j’ai réussi à lui glisser ma flamme. Je me souviens, ça avait été délicat d’introduire ça, l’air de rien, alors même qu’on décrivait les atrocités de l’holocauste et les ravages psychiques et psychologiques sur les victimes principales du conflit. Il a fallu une sorte d’acrobatie verbale pour enchainer depuis les techniques de torture, dont nous parlions, à la chaleur de l’amour que je lui portais. C’est vrai qu’avec du recul je me rends compte que ça manquait de panache. Enfin, tu sais ce que c’est, ces filles sont à la fois délicates et en plus n’entendent rien à la guerre. Tout est bon à s’offusquer et à se répandre en sensibleries ridicules et grotesques. D’ailleurs elle n’a rien compris à ma déclaration, est restée à me regarder les yeux écarquillés comme si j’étais un revenant. Elle a totalement ignoré la chose et a dit un truc du genre « Oui… C’est terrifiant quand même… » Et là j’ai mis du temps moi aussi à comprendre. J’ai cru qu’elle avait été terrorisée par ma déclaration, et en fin de compte elle a juste fait la sourde oreille et continué la conversation sur les traitements inhumains infligés aux prisonniers de guerre. Toujours est-il qu’à compter de cet épisode incroyable elle m’a évité, et c’est ainsi que ma 1ère vie sentimentale est morte. J’ai tourné la page pour de bon.

Du moins le croyais-je… Une année après, j’ai connu mon deuxième échec, un peu moins spectaculaire peut être, mais pittoresque. J’avais été affecté par ma première déroute. Par la force des choses, je suis tombé plus tard sur une jeune fille de ma promotion –en classe préparatoire alors- qui m’a paru, sur le moment, et tu sais comme on est naïf quand on est jeune, intéressante. Et puis j’étais un peu irrité, il faut bien l’avouer, par le défaut de succès que j’avais essuyé précédemment. C’est pour ça que j’ai pris la liberté de lui tourner autour, un peu comme un vautour si tu me passes l’expression. J’ai été assez loin avec elle. En fait, et je m’en rends compte avec bonne foi maintenant, j’ai fait des pieds et des mains pour lui plaire, quitte à lui raconter n’importe quoi. Et c’est ça qui, au final, a entrainé ma déchéance. Le problème, c’est que je ne me rendais pas compte de l’énormité de mes affabulations, et la réalité est venue parfois me jouer des tours… Par exemple, elle me croyait parfaitement bilingue en espagnol. J’avais prétendu être parti faire de longues excursions sauvages dans divers coins d’Amérique du sud, et avoir de la famille au Mexique. Pas par prétention hein, je ne veux pas que tu te fasses de mauvaise idée à mon sujet. Juste parce qu’elle était admirative vis-à-vis de tout ce qui relevait du genre hispanique ; les films d’Almodovar notamment. Donc j’ai pris la liberté de lui faire croire ça, et mal m’en a pris, quand un jour on a croisé un vrai espagnol… Dieu merci, elle était relativement crédule, j’ai pu lui faire croire que la différence entre espagnol castillan et mexicain était telle que je ne pouvais pas communiquer de façon basique avec lui. Mais ce qui a sonné la fin de ce petit bout de rêve, ça a été un autre mensonge, du même acabit si tu veux. J’avais prétendu être titulaire du permis de conduire et avoir un véhicule personnel. Tu sais ce que c’est, ce sont toutes les mêmes à cet âge là. Elles vendraient leurs mères pour pouvoir obtenir un petit ami qui puisse jouer les taxis. Or, et c’est là qu’il y a eu comme un hic, c’est que je n’avais ni permis ni véhicule. Que pouvais-je dire, la fois ou elle m’a presque ordonné de venir la chercher à la gare avec ma voiture ? Bien sur, si j’avais été raisonnable, j’aurais trouvé une excuse ou je lui aurais répondu négativement. Mais tu sais ce que c’est le dynamisme de la jeunesse. J’ai emprunté discrètement la voiture de mon père, croyant en mes chances. Après tout, j’avais eu quelques leçons de conduite. Mais si cet argument m’a convaincu, la réalité s’est avérée moins convaincante. Ni l’arbre dans lequel ma voiture est entrée en collision par quelque maladresse de trajectoire, ni le procès verbal humiliant dressé par les forces de l’ordre, ni les réprimandes inoubliables de mes parents n'ont pu conforter cette idée. Quant à cette demoiselle, je n’ai pas pu venir au rendez vous, naturellement. Elle a cru que j’avais eu un accident à cause d’un de ces malades qui roulent sur les routes sans avoir la maitrise de leurs véhicules, et ne m’en pas finalement pas voulu puisque ça lui a permis d’être ramenée par un autre voyou de mon âge, lequel a d’ailleurs été bientôt son compagnon officiel. C’est donc comme ça que s’est achevée ma deuxième vie…

Jusqu’ici, rien de très anormal me diras-tu. Erreurs de jeunesse. Mais un troisième évènement malheureux allait aggraver mes malheurs préconjugaux. Pourtant, cette fois ci, fort de mes expériences passées, tout avait débuté à merveille. Pas un seul mensonge n’a trahi notre communication. Nous nous entendions parfaitement. Je restais naturel avec elle, et elle me correspondait, on formait une espèce d’équilibre ensemble. Je ne dis pas qu’on était inséparables, mais on faisait un tas de choses en commun. Et on était souvent complémentaires. Elle aimait salir la vaisselle par exemple, et j’aimais la laver. Ou bien encore elle adorait insulter les joueurs de l’équipe adverse sur le terrain de football, et j’adorais moi-même concrétiser ses fantasmes par de violents tacles à hauteur de leurs tibias. Nous vivions donc en symbiose, et même maintenant il me parait étonnant que ça ait tout de même conduit au désastre. J’avais écarté le défaut de la mythomanie, ainsi que toute solennité hors de propos. Je m’apprêtais à lui dire la chose très simplement, au cours d’un repas, et j’étais intimement persuadé qu’elle me répondrait favorablement. Mais, et tu conviendras que le hasard fait parfois les choses de façon inattendue, alors même que je m’apprêtais à lui faire une révélation, elle m’interrompit à peu près de la sorte : « Ecoute, Antoine Pavlovitch… Je veux que tu m’écoutes attentivement… J’ai une révélation à te faire, et j’espère ne pas être trop solennelle en t’en faisant part. Ca nous concerne si profondément ! » En disant cela, elle était vraiment radieuse. Je l’étais moi aussi, car elle m’arrachait les mots de la bouche. J’allais signer le contrat de mariage que je pensais être dans sa poche, quand elle m’annonça la glorieuse nouvelle : elle venait de tomber amoureuse d’une fille, une jeune moldave venue récemment s’installer près de chez elle. Elle était tellement joyeuse et confiante en me racontant cela qu’elle ne prit pas garde au caractère livide que mes traits prirent soudainement, ni aux tressaillements de mes lèvres, totalement inhabituels. Elle savait, ajoutait-elle souriante, que j’étais quelqu’un de très tolérant et que l’homosexualité n’était pas de nature à me repousser. Nous resterions en ce sens amis, comme d’habitude, même si son amour allait immanquablement l’éloigner de moi. J’ai vécu la fin de ce repas comme Tantale et son supplice, et à chacun de ces sourires qui ne m’étaient pas destinés, je voyais se dessiner dans toute sa régularité un troisième échec du cœur.

Après avoir pris mes des distances et dégainé une certaine froideur, et une année s’étant écoulée, je suis entré en relation proche avec une parisienne. Quand je suis venu à la capitale, par conséquent. C’était quelqu’un de très attirant physiquement, même si, intellectuellement, elle me rappelait moins Einstein qu’un rat de laboratoire ayant subi plusieurs opérations expérimentales au niveau du cortex. Je n’ai pas pris la mesure de sa susceptibilité caractérielle lors de nos premières rencontres. C’est sans doute un tort, mais tu sais ce qu’est c’est la vigueur et la spontanéité de la jeunesse. Et puis j’étais encore pétri d’idéaux, il me fallait bien croire en quelque chose plutôt que plonger dans la Seine, un boulet attaché au cou. Nous avons communiqué plus ou moins langoureusement pendant quelques mois, et je croyais sincèrement qu’il adviendrait quelque chose de nous. Mais tu sais ce que c’est, la jeunesse et son impétueuse inconstance. Tout ceci est d’ailleurs lié à un vulgaire problème de téléphone mobile. Le mien m’avait quitté pour quelque obscure raison, et alors même que j’allais négocier avec mon opérateur téléphonique la fourniture d’un téléphone, au coût si possible inférieur à six années de salaire, je prévins tout malentendu avec ma moitié amicale. Autrement dit, pour ne pas qu’elle se fasse d’illusion sur mon silence, je lui envoyai un courriel pour lui expliquer l’arrêt technique qui me contraignait à rester coi. La malheureuse, toutefois, n’a visiblement pas cru bon de prendre à la lettre mes explications. Le plus drôle dans tout cela, c’est d’avoir découvert, environ deux semaines plus tard grâce à la bonté des services après vente de mon opérateur, un message vocal sur mon nouveau téléphone. Ou plutôt plusieurs. Le premier était assez étonnant, dans le style : elle m’invitait, « ce soir », à un rendez vous place Saint Michel. Elle évoquait les pistes innombrables que nous réservait cette soirée éventuellement mirifique. Restaurants, bars, cinéma, bain de minuit sous le pont Mirabeau, tout s’offrait à nous. Ce ton exceptionnellement tendre était synonyme d’aveu. Mais ce fut un peu refroidi par un deuxième message, au ton particulièrement en rupture avec son prédécesseur. Sur un ton extrêmement sec, elle m’expliquait que faire attendre sous la pluie place Saint Michel n’était pas du tout conforme à son idéal du gentleman, qu’elle avait pourtant imaginé faire de belles choses ensemble, que je l’avais cruellement déçue, et qu’il était inutile de la rappeler, sa voix se déformant alors en un ultime sanglot. Ces deux messages dataient évidemment de douze jours en arrière. Elle avait donc interprété mon absence de rappel comme la confirmation de ma personnalité abjecte. Ne ris pas, je t’assure que j’étais fou de rage. J’ai bien essayé de la rappeler. Elle a commencé par ignorer mes appels, et finalement a décroché pour me couper la parole et m’insulter, avant qu’un claquement sec ne vienne signer la fin de ma quatrième vie sentimentale.

Cet épisode aurait surement du apaiser mes velléités, je te le concède volontiers. Pourtant, j’ai récidivé quelques mois plus tard, après avoir découvert Lolita. Ce n’est pas son nom, mais ça lui va bien je crois. Cette fille ne laissait pas indifférents les garçons avec qui elle pouvait communiquer. Je ne le savais pas encore quand notre relation n’était que balbutiante. Nous avons eu rapidement un contact de proximité, au sens qu’elle semblait partager très bien mes points de vue. Ca a nourri un rapport d’intimité très cordial. Et c’est aussi une personne assez tendre. Quand elle dit bonjour, elle se penche vers toi d’une façon telle que c’est tout juste si elle ne t’enlace pas langoureusement. Après avoir développé nos échanges verbaux, j’ai commencé à avoir quelques doutes. Vois-tu, quand quelqu’un épouse trop absolument tes idées, y compris quand tu dirais blanc à l’instant a et noir à l’instant b, tu finis par songer aux concepts de volatilité des personnalités, d’esprits poreux, d’évanescence de l’être pensant, et tout ce qui s’ensuit. Si j’avais été cruel, je l’aurais alors dépeinte comme une forme d’amabilité complètement creuse. Mais sans doute voulais-je lui accorder le bénéfice du doute. Quelques rencontres ont, hélas, fortifié ce soupçon. Elle aurait opiné à n’importe quel avis sur n’importe quel sujet sans la moindre hésitation. On aurait pu affirmer devant elle le féminisme le plus intransigeant, avant de revendiquer des postures empreintes d’un machisme terrifiant : elle aurait toujours suivi le flux des idées sans broncher, exactement comme ces bûches de bois agitées par les courants, tantôt dans un sens tantôt dans un autre. Ce constat m’a un peu démotivé, dans la mesure où je rêvais davantage de conversations argumentées, et si je ne niais pas l’utilité d’une telle capacité caméléonesque, la vacuité spirituelle qu’elle impliquait me déplaisait largement. Avec l’habitude toutefois, j’en suis venu à prendre acte de la chose. Ce fatalisme s’est accru aussi parce que sa tendresse semblait également croitre. Nous allions former un couple, cela allait de soi. Des signes sont malheureusement apparus dans un sens tout à fait contraire. Non pas qu’elle ait cessé de m’apprécier, là n’est pas la question. Mais d’autres énergumènes sont entrés dans la ronde, et elle ressentait à l’égard de n’importe quel individu de sexe masculin la même compréhension systématique et démesurée, le même élan affectif. Au point qu’une sorte de chasse à la poule s’était ouverte, je crois qu’on ne peut pas dire les choses autrement. Chacun essayait d’en obtenir profit, et elle souriait à tous, laissant suggérer des merveilles par ci par là. Il m’a fallu guerroyer un peu pour garder une sorte de privilège, jusqu’à ce qu’entre en scène un certain Cyril Greyne, que tu connais peut être. Une sorte d’irlandais sorti tout droit d’une grotte, à mon humble avis. Je me suis demandé s’il connaissait autre chose que le rugby gaëlique la première fois ou il lui a été présenté, et qu’il s’est grossièrement permis de la regarder d’un air d’enfant affamé lâché dans une boulangerie. Le pire dans tout ça, c’est qu’il s’est montré tellement entreprenant avec elle qu’il a fini par être lourd. Ainsi, lors d’un week-end ou la promotion a voyagé, et alors qu’elle et moi devions dormir dans la même chambre, ses stratégies odieuses, prolongées par la bonté béate de Lolita, ont conduit à une situation paradoxale où ils ont décidé de partager le lit pendant que je dormirais sur le canapé de la même pièce. Tu peux l’imaginer, ça ne m’a plu qu’à moitié. En fait, j’ai même été animé d’une irritation terrible, et j’ai tout fait pour occuper leur espace mental à chaque seconde. J’ai parlé de tout et n’importe quoi pendant des heures, en dissertant sur les cycles du soleil, les variations de températures par rapport à l’altitude, la qualité du bois comme isolant dans la montagne, la dureté du métier de cycliste, la vitalité du ski comme discipline de compétition, ou encore le fait que le temps semble passer incroyablement vite parfois. S’ils observaient un silence poli au début, voire répondaient timidement, ils ont assez vite choisi les reproches. Selon eux, je bavardais beaucoup trop en une heure incongrue, et je crois même sincèrement qu’ils voulurent réellement dormir à la fin, tant mes vociférations continues les épuisaient. Nous avons passé une nuit pratiquement blanche d’ailleurs. Mon honneur était sauf quant à lui, et c’est avec sarcasme que j’accueillis ses insultes plus tard. J’avais selon lui saboté délibérément toutes ses chances par pure jalousie. Peu m’importait à vrai dire, tout ce que je souhaitais c’était préserver mon ego. Et puis ceci n’a eu guère d’importance vu le dénouement de l’histoire. Elle a été plus ou moins violée par un autre garçon arrivé brutalement, et a eu assez de docilité pour répéter qu’il s’agissait d’une histoire choisie et sérieuse. En tout état de cause, j’ai été tellement dégouté par ce festival de volatilité que j’ai tourné la page. L’amertume n’allait pourtant pas m’épargner une cinquième histoire malheureuse.

Si l’expérience précédente avait renforcé mon sens de la défiance, je demeurais aliéné par ces réflexes naturels qui nous conduisent à rechercher la douceur d’une compagnie. J’ai succombé un an plus tard, étudiant un peu plus expérimenté, avec une fille d’une beauté sidérante. C’est elle qui m’est pour ainsi dire rentrée dedans, un beau jour, en prétextant quelque alibi futile pour engager une conversation intéressé. Elle avait l’air de jouer franc jeu, même si sa méthode forte me rappelait désagréablement la vigueur avec laquelle certains pêcheurs jettent d’énormes filets sur de gros poissons isolés. Je dois dire, en revanche, que son caractère fort avait quelque chose d’extrêmement plaisant. Et cela d’autant par contraste avec l’effacement de Lolita. Nous avons occupé plusieurs de nos soirées ensemble, par la suite. Elle souhaitait me découvrir plus avant de commencer une relation, éventuellement. Connais-tu le Ritz à Paris ? C’est là que nous sommes allés manger, bien que la découverte des tarifs m’ait un peu coupé l’appétit, je le reconnais. Mais je me consolais intérieurement, pensant qu’il y avait là la contrepartie nécessaire du plaisir. Le lendemain nous avons loué une berline luxueuse, après qu’elle ait longuement vanté les mérites extraordinaires d’une promenade dans semblable carrosse. J’ai trouvé cela, naturellement, un peu excessif, mais tu sais comment sont les jeunes filles de nos jours, ambitieuses et attirées par le clinquant. Une deuxième journée très festive pour mon banquier s’est donc déroulée. Le problème, c’est qu’au bout de huit jours de ce train de vie royal elle n’éprouvait apparemment aucune envie de revenir à un style de vie classique, ni, manifestement, que nous fussions ensemble. Pour ma part, je n’osais même plus dormir chez moi de peur qu’un huissier ne m’y attende furieusement, saisissant montre, lunettes et vêtements pour éponger une partie des créances. J’aurais pu, je pense, surmonter ces difficultés, si elle n’avait pas, au fil des jours, accentué ses exigences. Non, ne te méprends pas, elle n’a pas cherché des endroits plus onéreux –lesquels, de toute façon ?-. Mais elle avait un regard assez capricieux sur le service, les aliments, la vitesse, ou tout élément qui puisse être critiquable. Elle a ainsi fait un scandale chez un des plus grands noms de la cuisine française. Les épices manquaient incroyablement de fraîcheur, hurlait-elle, tandis que j’essayais d’éviter que les services de sécurité ne se précipitent sur elle pour neutraliser cette source de bruit dévastatrice. Nous sommes partis sans manger le repas, que j’ai tout de même dû payer de ma poche, à vrai dire. Et je te passe nombre d’histoires similaires. On n’aurait pas pu lui reprocher de manquer de goût, c’est certain. Son degré d’exigence a culminé à des altitudes étouffantes, et c’est étouffé par cette constance dans l’excès que j’ai commencé à m’en détacher. Remarque, c’est ma relation avec mon banquier qui s’est faite de plus en plus intime, au fur et à mesure. Jusqu’à ce qu’elle ait trouvé un jeune dindon du 16ème arrondissement, dont la farce devait être meilleure que la mienne puisqu’elle s’est détournée de moi pour le plumer à son tour. Une sixième défaite, en somme…

Au terme de ces aventures, ô combien enrichissantes, je suis finalement tombé sur une fille parfaite. Si si, je t’assure, je pèse mes mots, et avec tout ce que je t’ai raconté tu te doutes que je n’idéalise pas le genre féminin. Elle cumule toutes les qualités imaginables, c’est saisissant. Non seulement socialement, elle sait communiquer avec intérêt mais sans lourdeur, avec légèreté mais sans frivolité, que physiquement, avec une allure rappelant bien les naïades de la mythologie grecque, un visage d’ange sur une tête bien pleine. Ni hautaine, ni idiote. Quelqu’un de quasi-magique. Et entre nous il n’y a pas eu de coup de foudre, mais une sorte d’harmonie spontanée. Comme s’il suffisait que l’un articule la première syllabe d’un mot pour que l’autre, en écho, y ajoute la deuxième, en un exercice fascinant d’unité. Nous partageons le même regard sur l’actualité, religieuse, sportive, politique, historique. On apprécie la même nourriture, et on a les mêmes conceptions des coûts de la vie et des tracas du quotidien. Mon double au féminin, si tu veux. Je n’en suis pas revenu, après avoir réalisé ça… Tu dois te demander pourquoi ça a encore achoppé, en démarrant si magnifiquement. Eh ! Bien, au risque de t’étonner, c’est moi l’unique cause de la rupture dans ce qui aurait pu naitre. J’ai déployé une cruauté très ingénieuse : après l’avoir invitée en bonne et due forme dans un lieu aux accents romantiques, j’ai très simplement et violemment rompu tout contact avec elle. Je ne sais pas combien de temps elle a attendu sur ce banc public, et je m’en moque éperdument. Elle a pu tenter de me joindre sur mon numéro de portable, que j’ai délibérément résilié. Ou sur mon ancienne adresse email, également supprimée de la surface du monde numérique. Toute possibilité de contact avec moi a été proprement dynamitée par mes soins, et tu sais à quel point les jeunes que nous sommes savent se donner du mal, quand il le faut. Ne fronce donc pas les sourcils, ce n’est pas folie de ma part. J’ai juste voulu leur rappeler que tout n’est pas permis en ce bas monde, et si elles se croient réservées une sorte de privilège exclusif dans le rejet de l’autre sexe, elles sont terriblement dans l’erreur. Si tu savais combien j’ai jubilé d’avoir réalisé ce grand coup. C’est cette septième vie qui m’a été fatalement bénéfique, en démontrant la persistance de nos personnalités. Elles peuvent faire usage de toute l’irrationalité dont elles sont fantastiquement capables, peu m’importe désormais ! Vois-tu, j’ai envie de conclure sur tout ceci que c’est une leçon de parité qu’il m’a été donné lieu de recevoir, mais surtout de dispenser, et sur un domaine lourd d’enjeux : l’égalité sexuelle dans le droit à l’absurdité. »

23 juin 2009

Gourmandises chiffrées.












Puisque nous vivons une époque friande de statistiques, je pouvais difficilement laisser ce blog sans quelques précisions de nature à éclairer les esprits profanes, aussi géométriquement que possible, sur la ville de Lund. Et plus singulièrement sur son université.

Environ 100 000 habitants y vivent, à croire la brochure dont on m'a pourvu.

Plus de 40 000 étudiants sont inscrits à l'université, dans ses 8 facultés, concentrées essentiellement sur le centre ville de Lund.

2000 étudiants sont inscrits à la faculté de droit -dite Juridiskum-.

100 juristes étrangers y viennent chaque année dans le cadre d'échanges entre universités partenaires.

1 d'entre eux rédige ce blog inimaginablement bien conçu.

En 1666 fut établie l'université de Lund, plus vieille institution universitaire de Suède avec Uppsala.

Depuis 1103 sa cathédrale irradie le monde chrétien de l'Europe du nord, et est aujourd'hui le siège de l'Eglise évangélique luthérienne de Suède.

22 degrés constitue la moyenne des températures hautes relevées à Lund sur les mois de juillet et août.


La densité est de 3050 habitants / Km2 en 2009.


N'hésitez pas à me faire part de vos équations diverses, si je puis les résoudre ce serait un plaisir.

21 juin 2009

L'imbécile heureux


Les propos qui suivent n’ont aucun rapport avec la Suède, Erasmus ou le droit. C’est simplement parce que je les rédige au pays d’Ingrid Bergman qu’ils se retrouvent miraculeusement sous vos yeux éberlués. Plus à venir, pour le meilleur ou le moins meilleur.


Philippe Noirceaux, 23 ans, fraîchement diplômé, avait distribué des lettres de motivation un peu partout. Il songeait avec joie aux entretiens à venir, lui qui n’avait pas du tout peur de s’exprimer devant son futur employeur. C’est d’ailleurs avec beaucoup de satisfaction qu’il s’apprêtait à rejoindre les bureaux de Woltachouski-Thiajoninkin-Gutherrman-Dupont-Holloway Brothers, du moins une filiale locale de ce groupe moderne. Ses dimensions pharaoniques sonnaient déjà comme autant de richesses dispersées aux quatre coins du globe.

Au fond, pensa-t-il après sa huitième tentative infructueuse, le plus difficile dans l’entretien était de réussir un nœud Windsor. Mais, bien entendu, encore fallait-il que la cravate mît en œuvre un sens plus aigu de la coopération. Après une trentaine de minutes d’efforts supplémentaires, Philippe privilégia finalement la simplicité en abandonnant ce symbole de soumission capitaliste. Il est vrai qu’au terme de la longue expérience vestimentaire qui s’était déroulée devant le miroir de salle de bains, la cravate paraissait désormais plus ressembler à une serviette en papier totalement chiffonnée qu’au signe de reconnaissance du cadre dynamique. Et le temps s’était évanoui à une vitesse tellement prodigieuse qu’il lui appartenait, de toute façon, d’abandonner la délicate manœuvre pour arriver à l’heure.

Trois heures plus tard en effet, au terme d’un périple dans la circulation parisienne qui rappelait un peu les luttes entre dinosaures d’autrefois, et qui lui avait d’ailleurs valu que ses pare chocs avant fussent dévorés par quelque autre véhicule vraisemblablement carnivore, l’heure de l’attente était venue. Elle durait même, à un point qu’il finît par se demander s’il ne s’était pas trompé de jour. Mais la secrétaire, aimable harpie à la consommation de café atrocement visible, lui avait hurlé qu’il était bien à l’heure et qu’il ne s’attendît pas à des miracles, tout le monde était dans son cas et s’il n’était pas content il pouvait postuler pour son job à elle qui n’était pas drôle tous les jours, avant qu’un appel téléphonique ne vînt mettre fin à ces explications. Il retourna donc s’asseoir sur les luxueux canapés en cuir du salon. C’était curieux, ne pouvait-il s’empêcher de penser, qu’il pût y avoir deux heures de retard sur le rendez vous initialement fixé. Quand il eut terminé la lecture approfondie des magazines offerts à la curiosité des patients, il remarqua qu’une demi-heure s’était encore écoulée. De façon plus surprenante encore, il s’aperçut que l’heure de sa montre était différente de celle affichée par l’horloge numérique. Et il ne s’agissait pas d’un classique décalage entre l’une et l’autre, mais d’une distorsion étrange. Le cadran montrait une vitesse de défilement clairement inférieure à celle de sa propre montre. Cette remarque le frappa, et il en fit la remarque à son voisin.

« - Excusez-moi, mais vous avez remarqué cette horloge ? Elle bat moins vite que nos montres ! »

L’homme le dévisagea profondément, sans répondre. Le jeune homme frissonna un peu en remarquant la noirceur de ces yeux, qui semblaient brûler comme deux charbons ardents. Son manque de prolixité contrastait d’autant avec son apparence physique colossale : sa carrure rappelait moins l’être humain que celle du bœuf génétiquement modifié, et dans une version plus étendue en longueur. Son crâne rasé paraissait huilé, et ses lèvres immuablement fixes. Cette absence de réactivité était saisissante, et Philippe pensa à ce reportage qu’il avait vu sur les baleines mortes échouées sur les plages.

«-Ne vous fatiguez pas ! Ce Monsieur est sourd et muet comme un huissier en pleine visite ! »

Celui qui venait de s’exprimer était la troisième personne de la pièce. Il était quant à lui impressionnant de réduction. Sans doute était-ce un nain, et peut être même dans une version miniature. Sa voix fluette lui donnait un air juvénile, pourtant mis à mal par le gris de sa chevelure. Des lunettes minuscules et très rondes lui grossissaient les yeux de façon grotesque. Ce regard semblait n’être que la seule partie émergée de son être, tellement tassé dans ses proportions lilliputiennes qu’il en avait même échappé au candidat Noirceaux.

« -Oh ! Pardon, vous m’avez fait peur… Euh, oui, alors ça c’est étonnant, je ne m’y attendais pas… »

Les deux boules le contemplaient, sous les lunettes extraordinaires. Une voix parut en sortir, et lui expliqua qu’il connaissait vaguement ce Monsieur sourd. Ainsi, il put apprendre qu’il candidatait pour un autre poste, celui de psychologue des relations de travail dans l’entreprise, un poste primordial voué à la gestion des problèmes psychiques des salariés. Lui-même, le petit gnome, allait avoir un entretien d’embauche pour une autre fonction. Il serait, du moins l’espérait-il, en charge de l’encadrement des équipes de sécurité. Il aurait lui-même à dissuader les éventuels cambrioleurs la nuit, outre son rôle de supervision des forces, expliquait-il avec une fierté non dissimulée. Son expérience de garde de chiens domestiques lui apporterait des avantages énormes sur la concurrence, jubilait-il. Puis il en revint à la mystérieuse horloge, pour en balayer tout le mysticisme d’un large éclat de rire.

« -Non non, rassurez-vous… C’est tout à fait normal… Le temps ne passe pas à la même vitesse dans une salle d’attente et dans la vie humaine, ne vous l’a-t-on jamais dit ? Vous devez débuter pour poser ce genre de question ! » Et le petit homme était secoué d’hilarité, comme il l’eût fait devant quelque enfant ayant posé une question d’une naïveté touchante et cocasse. Son faciès vira même à une jolie couleur cramoisie, laquelle semblait métamorphoser son visage en une diode électroluminescente écarlate, ornée d’une paire de lunettes.

Mais ces aventures spectaculaires furent brisées par l’entrée d’un assistant. Philippe Noirceaux fut prié de bien vouloir le suivre, de venir dans l’ascenseur, avant qu’on ne lui expliquât qu’ils allaient au vingt-septième étage du bâtiment, qu’il avait de la chance de ne pas candidater au plus haut poste pour lequel il fallait se rendre au deux cent vingt-neuvième étage et que même l’ascenseur ne montait pas si haut, et qu’il devait avoir une confiance gigantesque pour se rendre à un entretien sans cravate, s’il osait se permettre cette remarque sans conséquences.

Philippe fut alors introduit dans un bureau. Les salutations s’ensuivirent entre lui et le recruteur, d’aspect cordial. Ils s’installèrent enfin, assis face à face. L’homme grisonnant avait environ la cinquantaine, et un aspect classique de directeur des ressources humaines. Un penchant à la cordialité et un penchant au mépris se livraient toutefois une lutte sans merci dans sa personnalité, sans que l’on pût prévoir à l’avance ce qui l’emporterait. Du moins était-ce le sentiment du candidat Noirceaux.

Des questions basiques s’enchainèrent. Il dut préciser notamment s’il buvait son café avec ou sans sucre, quelle était sa couleur préférée, combien de pages comportait l’annuaire, quel était le poids moyen d’un condor, s’il pouvait réciter une poésie hongroise célèbre, expliquer comment traduire un texte du chinois vers l’arabe littéraire et enfin, plus subtilement, déclamer Ovide non pas en latin mais en grec et à l’envers, en inversant l’ordre des lettres qui composaient les mots. Tout cela ne prit naturellement pas au dépourvu le « Jeune Monsieur Noircheaux », comme le directeur l’appelait approximativement. Une légère préparation permettait à quiconque de répondre judicieusement.

Les choses devinrent plus malaisées quand ses compétences linguistiques furent inspectées. La pleine connaissance du chinois mandarin, du hongrois, du japonais, du français, de l’espagnol, de l’allemand, du russe, de l’anglais et du swahili marquaient une disproportion assez manifeste avec les compétences requises pour le poste visé. Le recruteur se fit même un peu moraliste, prônant l'étude de quelques langues absolument indispensables. Il savait bien que les jeunes d’aujourd’hui ne travaillaient plus et se moquaient éperdument des langues étrangères, mais que ferait-il le jour où il devrait rédiger des contrats en suédois, négocier avec des représentants portugais, débattre avec des concurrents coréens, aviser des autorités ministérielles en Pologne, proposer une stratégie aux responsables aborigènes, voire encore asseoir l’emprise sur un marché italien par quelques coups de téléphone habilement placés ? Ces exemples, à mesure qu’ils étaient évoqués, semblaient anéantir peu à peu les qualités professionnelles du jeune diplômé. Il crut bon de se défendre en faisant remarquer que, peut être, parlait-il déjà certaines langues que d’autres ne connaissaient pas, mais s’attira en cela les foudres de son interlocuteur. Il lui fut ainsi martelé qu’en aucun cas ce genre d’argument, de nature à signer la présence d’un esprit faible et incapable d’assumer l’ampleur de ses échecs, ne saurait lui profiter. Heureusement, le volet linguistique s'achevait, et avec une bonne partie de la confiance de Philippe.

« Voyons maintenant, la dernière partie de cet entretien, je voudrais savoir pourquoi ce poste vous plait, dans quelle mesure vous correspondez au profil que l’on attend de vous. Donc, très simplement dites moi pourquoi nous devrions vous recruter ? Vous avez un parcours pas totalement inintéressant, je puis vous l’accorder. Vous avez des compétences de gestion, d’administration, de droit, d’ornithologie et de kung-fu qui pourraient être utilement combinées dans notre département, c’est certain. Maintenant, je veux quand même savoir pourquoi vous, vous-même et personne d’autre, êtes meilleur que le premier abruti venu pour cette fonction. ».

Cette question allait amener une réponse qui allait elle-même enclencher la fin des espoirs d’être reçu pour le poste proposé. Le malheureux avait pensé pouvoir se montrer convaincant en évoquant ses expériences pratiques, complétant sa formation académique. Il avait décrit avec autant d’exactitude que possible la fonction concernée, essayant de montrer une maturité déconnectée d’idéaux romantiques, reflets d’une appréhension éloignée de la réalité de l’entreprise. Après avoir développé les divers aspects du travail, évoquant la part d’austérité inhérente à la charge, contrepartie nécessaire et marginale d’une responsabilité avant tout stimulante, il finit par faire l’éloge de la fonction d’encadrement des ressources humaines. Cependant, au fur et à mesure que le directeur l’écoutait, il trahissait de plus en plus de signes de surprise, et devint même un peu excédé, pour enfin couper brutalement la parole alors même que la conclusion était tout juste exposée.

« -Mais c’est le summum ! Vous vous croyez décidément tout permis… C’est la première fois qu’on me sort autant d’énormités sur un laps de temps aussi court… Vous devriez faire du saut de haies à ce compte là, vous pourriez faire exploser tous les records de la planète ! Attendez, pour vous expliquer l’étendue de votre naufrage, car je ne veux pas vous laisser sur une impression amère, je vais vous expliquer pourquoi nous ne pourrions vous engager, avec la meilleure volonté du monde, car vous êtes à mille lieues de ce que l’on attend. Premièrement, vous vous attachez à disséquer artificiellement toutes les dimensions d’un travail, alors même que la pratique exige qu’on les associe étroitement, dans une sorte d’opération chirurgicale digne des plus grands films d’horreur. Vous vous acharnez ainsi à décliner les dispositions légales du droit social, à chanter les enjeux de la gestion prévisionnelle des emplois, à synthétiser les défis de la psychologie des ressources humaines, et ainsi de suite. Mais croyez-moi, tout ceci c’est du verbiage ! Nous voulons quelqu’un qui puisse évoluer dans une même unité logique, pas un esprit pervers qui arrache morceau à morceau les différentes chairs de notre spécialité. En tout état de cause vous avez parfaitement réussi à me démontrer votre in-employabilité. Deuxièmement, vous vous reposez béatement sur un dossier scolaire que vous avez l’audace de qualifier d’honorable, sous couvert d’un alibi fumeux, autrement dit en vous fondant sur les mentions qui vous suivent comme des moutons depuis votre première année de faculté. Par là, on dirait que vous voudriez nous faire croire qu’il existe un lien réel entre votre aptitude au bachotage sur une période donnée et vos capacités à affronter la réalité de l’entreprise sur le terrain. C’est à l’évidence une absurdité. Enfin, et c’est mon troisième point, vous candidatez pour un poste d’encadrement des ressources humaines. Mais vous vous êtes tenu à la lettre de l’offre et non pas à son esprit. Par conséquent, vous croyez pouvoir candidater pour devenir cadre, vos propos l’ont longuement démontré. Or ce que nous vous proposons, au mieux, c’est un poste d’assistant d’assistance aux ressources humaines ! Ceci n’a évidemment pas grand-chose à voir avec les illusions dans lesquelles vous baignez si tranquillement. Croyez-vous sincèrement que connaître les ressorts des opérations de restructurations internationales puisse ouvrir, dans le contexte de crise que nous connaissons, à des postes directement en lien avec les compétences acquises ? Bien évidemment non : il vous faudrait concrètement, dans cette fonction, observer l’assistant de direction pour l’assister, c'est-à-dire par exemple lui porter sa mallette, après que celui-ci se la soit vue confiée par l’administrateur lui-même. Par ailleurs, et pour revenir sur le désenchantement dont vous semblez animé, sachez que le groupe industriel est une machine à produire du rêve. Nous souhaitons des candidats à même de hurler leur enthousiasme frénétiquement, sous forme de vers, de psaumes, d’œuvres du septième art ou que sais-je encore ! Vous n’avez manifestement aucune conscience de l’onirisme du business Monsieur Noircheaux ! Je le regrette vivement, mais en dépit de vos quelques qualités il nous est vraiment impossible de vous promettre une place en ces lieux… Enfin, je vous souhaite bonne continuation. Et n’oubliez pas, travaillez un peu vos langues si vous voulez faire quelque chose de votre vie. Je vous dis ça un peu brutalement mais je préfère être franc et que ce soit utile, plutôt que manipuler la langue de bois et contribuer à vous enfermer dans des schémas puériles… Allez, au revoir Monsieur Noircheaux, merci. »

Cette tirade assommante avait, coup par coup, écrasé Philippe. Il comprit alors combien candide il avait été, et la prétention insupportable dont il avait fait montre, et ceci dans une ambition tellement démesurée qu’elle lui avait fait croire à la réalité d’une candidature à l’encadrement. Des larmes embuaient ses yeux étouffés par la honte. Il hésita en sortant du couloir quand il vit une fenêtre donnant lieu sur le vide. Peut-être son destin l'appelait-il à sauter pour épurer le marché du travail. La pluie le détourna de ce noble objectif cependant, lui qui avait toujours eu horreur d’être mouillé. Il finit par se calmer et réfléchit plus posément. Décidément, il avait fixé la barre bien trop haut. Ses pensées l’amenèrent à conclure qu’il postulerait pour la plonge dans quelque restaurant reculé, ou bien encore pour ramasser les feuilles mortes dans la rue, voire encore pour laver les pare brises des si aimables parisiens. Après tout, en lui ouvrant un regard plus lucide sur le marché du travail, le recruteur avait fait de lui autre chose qu’un jeune candide, ou ce que le langage commun désigne affectueusement comme « l'imbécile heureux ».

20 juin 2009

Un pas de géant vers l'Erasmunité.

Première photographie de Scanie -Skåne- sur ce blog. Cette province était danoise avant 1658, et est porteuse de paysages ruraux dans l'imaginaire collectif, surtout faits de champs de maïs et de colza sous fond de cieux bleus nuagoelineux -ce dernier mot n'existe pas dans le dictionnaire mais correspondait trop bien à l'idée ici pour ne pas être utilisé-. La photographie est en ce sens assez représentative. Notez qu'on y court sans problème, si l'allergie des foins ne vous a pas retiré votre dernier souffle avant même la première foulée. Je suis convaincu qu'on pourrait y tourner de grands films historiques ancrés dans une période médiévale, façon Barry Lyndon, ou bien encore y perdre aisément une pièce de 10 centimes -si par hasard vous en trouviez une dans les parages, je vous prierais de bien vouloir m'en aviser-.

16 juin 2009

Comment aller à Lund?

C'est la question qui intéressera ceux qui y partent... Comment faire donc?


Depuis la France, l'avion reste la solution la plus économique pour les voyageurs solitaires. La voiture reste possible, il faudra alors traverser l'Allemagne, avec le ferry pour un trajet direct vers la Suède. Mais ce n'est financièrement intéressant que pour plusieurs personnes étant donné les cours du pétrole... A noter que les autoroutes sont gratuites au pays de Goethe et Kanterbrau.


Pour le transport aérien donc, il faudra rechercher Copenhague comme aéroport de destination. Certaines compagnies low cost -ou non- sont tout à fait intéressantes: Transavia, Norwegian Airlines, Scandinavian Airlines. Ou encore Easyjet si vous venez d'Angleterre, par exemple. Mieux vaut réserver à l'avance pour profiter de bons prix. Enfin pour ceux qui le peuvent, les compagnies classiques le desservent à l'image d'Air France.


Autre option, qui peut éventuellement s'avérer intéressante pour vos frais d'avion: atterir à Göteborg, et ensuite prendre un train pour Lund. Le billet pour ce dernier coûte environ 30 euros ces temps-ci, à actualiser avec la politique tarifaire du moment. Ryanair dessert cette destination, d'où ce choix peut apparaitre rentable. Faites jouer la concurrence pour profiter du meilleur prix. Mais ce trajet est un peu moins direct que le premier, car il vous faudra prendre les rails pour trois heures.


En effet, arrivé à l'aéroport de Copenhague, c'est le train qu'il faut prendre, situé, très simplement, juste en-dessous. Il faudra 22 minutes officielles pour rejoindre Malmö, et entre 45 minutes et une heure pour rejoindre Lund, selon que la connexion soit directe ou non. Je déconseille aux amateurs de voyage sans tickets de transport de jouer avec les règles, les contrôleurs sont systématiquement présents. Le billet coûte moins de 20 euros en juin 2009.


Pour l'été 2009, il est possible d'acheter une carte de transport spécifiquement pour l'été, laquelle ouvre droit à 50 voyages dans toute la Scanie. Chacun de ses voyages peut durer 3 heures avec autant de changements que l'on veuille. C'est une option tout à fait intéressante, car les tickets individuels reviennent très cher à l'achat. Pour les étudiants, les réductions ne seront possibles qu'en période scolaire soit à compter de septembre.


Voilà des principales informations. J'essaierai de les actualiser au mieux. Bon voyage!

15 juin 2009

Baptême de blog.


Admis pour une année d'études à la faculté de droit de Lund, près de Malmö c'est à dire dans le sud de la Suède, j'ai décidé de créer ce journal afin d'en rendre compte. D'abord pour me faire plaisir. Ensuite pour éclairer tous ceux qui seraient intéressés par la ville, amis, touristes, curieux ou étudiants Erasmus en devenir.


A l'instant où j'écris, je n'ai pas encore foulé le sol de la Scanie. Mais j'ouvre joyeusement ce blog, les pieds français tous projetés mentalement vers la terre d'Ingrid Bergman: Qu'une bouteille de champagne vole en éclats sur cet écran!


A bientôt chèr(e) lecteur(ice).


L.G.