31 juillet 2009

L'Europe du Nord: quelques précisions géographiques.

Confondre la Suède, la Norvège, la Finlande et, pourquoi pas, le Danemark, constitue le quotidien de nombre sudistes invétérés. Pour que jaillisse la douce lumière du savoir, éclairons successivement quelques notions communément floues et pourtant distinctes: Europe du Nord, pays nordiques, pays scandinaves, Laponie.


L'Europe d'Odin...

Evoquer l'Europe du Nord renvoie surtout à ce qui est "là-haut dans le froid" selon l'imaginaire collectif. Pourtant, on a tendance à en dissocier l'Ecosse ou encore à oublier l'Islande, dans cette perspective artistique. Plus rigoureusement, et dans une conception géographique apparemment académique, on comprendra la Suède, la Norvège, la Finlande, l'Estonie, l'Islande et le Danemark -comprenant les îles Féroé-. L'Estonie, le pays balte le plus au nord de notre continent, est culturellement fennique, et sans doute est-ce la raison pour laquelle on a voulu l'intégrer à l'Europe du Nord, au sens géographique. Certains font en revanche un usage plus libéral de cette notion -cf. le classement de l'ONU par exemple- en ajoutant Royaume-Uni, Irlande, Lettonie et Lituanie. A privilégier cette définition, il faut alors bien la distinguer des pays nordiques.


... Les Etats nordiques

Il s'agit de l'Europe du Nord au sens étroit du terme, l'Estonie en moins. Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Suède par conséquent. L'Estonie voudrait être incluse dans ces Etats nordiques. Cette construction est donc simple, et plus encore est la région scandinave.


La Scandinavie...

Cette région d'Europe du Nord comprend, au sens strictement territorial, la Norvège et la Suède, toutes deux établies sur la péninsule scandinave. On a coutume, toutefois, d'y ajouter le Danemark. Ces trois pays sont culturellement proches, surtout pour leurs trois langues, rattachées à une même famille. Le finnois et l'estonien sont quant à elles des langues finno-ougriennes, profondément différentes.


Bref, répétons l'information capitale:


Scandinavie = Norvège + Suède + Danemark


... Et la Laponie

Enfin, la terre des rennes est à évoquer. Elle renvoie étymologiquement et ethniquement à la terre des Saami, peuple du nord. Largement située au-delà du cercle polaire arctique, soumise à des variations climatiques rudes -de moins 40 à plus 40-, elle est essentiellement concentrée sur le sol suédois, mais déborde tant du côté norvégien que du côté finlandais.


Si je n'y suis pas malencontrueusement dévoré par un ours, j'espère bien joindre quelques clichés à ces divagations magistrales, dans un froid avenir.

30 juillet 2009

Photographier scandinave, ou l’art de maîtriser les nuages.

Voyager en Suède peut s’avérer décevant pour le photographe amateur, confronté à une sous-exposition fréquente. Comment dépasser cette frustrante limite ? Si je ne vois aucune méthode miraculeuse poindre à l’horizon, quelques indications seront peut-être utiles en ce sens.


Avant d’en attaquer la substantifique moelle, il faut bien comprendre à quoi tient cette sous-exposition. Quand on évalue une photographie à l’aune de cette notion, il s’agit très simplement d'une appréciation de la lumière présente. C’est cette dernière qui est appréhendée par les appareils photos. Les couleurs peuvent être vives et harmonieuses, si l’éclairage ne suit pas le cliché est raté. Quand on cherche à photographier un sujet à proximité, un flash permet éventuellement de limiter les dégâts. Mais pour ce qui est des scènes un peu éloignées ou dont la profondeur est patente, seule la lumière du ciel pourra être mise à contribution. Or les cieux nordiques seraient, à en croire les mauvaises langues, un brin plus maussades que leurs cousins équatoriaux. Résultat : les nuages appliquent un filtre terne aux objets reproduits, parfois trop fort pour rendre avec justice les nuances colorées.


On peut jouer, malheureusement faiblement, contre ce triste phénomène. Il faut en premier lieu faire varier la sensibilité ISO de l’appareil. Une sensibilité plus forte permettra de capter davantage, et inversement. Les appareils numériques permettent d’apprécier en temps réel ces avantages sur l’écran d’aperçu automatique, ce qui vous permettra d’ajuster au mieux ce paramètre essentiel.


Une autre technique, plus rentable si ses conditions sont réunies, consiste à saisir l’instant éphémère où le soleil est dégagé. Pour les plus courageux, on pourra aussi jouer sur l’heure, en essayant de capturer la lumière à l’aube, quand elle rase les paysages. Ses ombres plus effilées et ses spectres écarlates récompenseront votre zèle.


Enfin, peut-être plus marginalement mais avec parfois des résultats spectaculaires, la retouche logicielle permettra de sauver des clichés. Photofiltre et GIMP sont deux logiciels gratuits –le premier plutôt simple, le second d’ambition plus professionnelle- à cette fin. Paint Shop Pro et surtout Adobe Photoshop sont quant à eux des éditions à but –et à prix…- professionnels. Sans entrer dans le maquis des possibilités techniques offertes, une en particulier est à indiquer : il s’agit des ajustements lumineux par les courbes, selon la terminologie de Photoshop. Un diagramme en forme de diagonale se présente à vous. Vous devriez pouvoir créer deux points de part et d’autre, par simples clics, de façon à créer un « S ». Les changements introduits sont appliqués en temps réel, ajustez l’image selon vos goûts. Faites-le en douceur toutefois, manipuler excessivement créera du bruit –terme technique pour la bouillie de pixels-.


Ces délicatesses techniques auront au moins leur contrepartie pratique : il n’est guère indispensable de prévoir des filtres UV pour aller en Suède. Bonne chasse aux images!

23 juillet 2009

De la courtoisie scandinave dans les transports collectifs.

Pure anecdote ou reflet profond d'une culture faite d'honnêteté et de confiance, la compagnie ferroviaire locale -Skanetrafiken- dédommage, forfaitairement, les passagers qui auraient eu à souffrir d'un retard de leur train.


Ainsi, si un train vient à être annulé, et sous condition pratique de remplir un formulaire de réclamation en suédois, l'usager reçoit quelques jours plus tard une carte de déplacement en train, illimitée sur 24 heures et à utiliser quand bon lui semble. Mieux encore: si le train manqué a conduit le malchanceux à payer un taxi, la compagnie le lui remboursera -sous un certain plafond, il est vrai-.


Moralement, je trouve cette posture admirable. Economiquement, je me demande ce qu'elle révèle. Les trains sont-il donc presque toujours à l'heure? Car si les usagers font jouer leur droit à dédommagement systématiquement, il doit falloir une ponctualité féroce pour éviter une fragilisation des comptes. Ou bien, plus fondamentalement, ne s'agit-il pas d'une démonstration d'honnêteté publique? Pas seulement de la part de l'opérateur ferroviaire, qui engage rigoureusement sa responsabilité de la sorte, mais surtout de la part des usagers. Car, dans un pays moins animé par la droiture et la probité, j'imagine volontiers des ruées vers les taxis au moindre retard, puisque de toute façon cela sera remboursé. Si c'est le cas, c'est assez remarquable.


Dans la même veine, je me souviens avoir observé à Stockholm, en 2006, une quasi-absence de contrôle des titres de transport dans le métro. Les usagers sont tout simplement présumés honnêtes, et la comparaison avec Paris donnerait envie de rédiger une parodie du polémique Choc des civilisations.


Je doute fort qu'un tel système soit d'une application réaliste en France. La RATP y gagnerait sans doute en estime, mais certainement pas en chiffre d'affaires. Voilà en tout cas une raison de plus pour venir ici: vous pourrez y manquer vos trains dans la joie et la bonne humeur.

21 juillet 2009

Le modèle suédois, c'est quoi?

La scène politique française, et ce depuis quelques années, est presque devenue le théâtre de l'exaltation quotidienne du modèle suédois, ou plus largement scandinave. Mais ce modèle dont on nous parle tant, c'est quoi au juste? Recèle-t-il donc tant de qualités que nous soyons assez crétins pour ne pas le dupliquer illico? Est-il au contraire excessivement mystifié, alors même que structurellement fragile? Son acte de décès n'a-t-il pas été formellement établi, sous les coups des politiques publiques nationales, conduites depuis les années 1990?


Avant de présenter non sans mégalomanie quelques réponses synthétiques, je voudrais signaler la parution récente d'un ouvrage assurément intéressant à ce sujet. Il est intitulé Le modèle suédois, un malentendu?, rédigé par Messieurs Huteau et Larraufie -élèves ingénieurs- , publié aux Presses de l'Ecole des Mines de Paris. Il a été gracieusement offert, 200 pages version PDF, au sénateur Alain Lambert, qui l'a lui-même mis en accès libre par voie de téléchargement. Didier Migaud et Alain Lambert, célèbres géniteurs de la LOLF pour tous les fanatiques du droit budgétaire, ont notamment été interviewés durant son élaboration. Ceci doit déjà sonner comme un avertissement: l'essentiel du débat tient aux finances publiques. On pourrait pratiquement résumer la problématique à l'histoire d'une répartition des fonds publics, qu'il s'agisse d'aspects fiscaux ou relevant de la protection sociale.


Pour lever d'emblée le suspense sur la thèse du livre en question, il est soutenu qu'il ne faut point suivre corps et âme l'exemple suédois, parce qu'applicable uniquement dans son contexte propre -culturel en particulier-, mais s'inspirer toutefois de qualités avérées, lesquelles ont démontré leur efficacité économique. Ces assertions conclusives ont l'air un peu spécieuses vues de cette façon, mais elles se fondent sur l'étude fouillée qui les précède.


Au plan terminologique, la notion de modèle renvoie à deux dimensions. Il y a, comme pour l'enfant-modèle, quelque chose de l'ordre de l'exemplaire, qu'il faut répéter. Mais il y a aussi, comme les modèles de CV qui viennent sauver les jeunes chercheurs d'emplois en manque d'inspiration, quelque chose de l'ordre du transposable, que l'on peut reproduire ailleurs. Le modèle suédois est donc à analyser sous ces deux acceptions.


La première se fonderait sur des vertus objectives, qui sont désignées en économie sous les termes de croissance forte, chômage faible, indice de développement humain élevé, mais aussi sous l'angle de la justice sociale c'est-à-dire en termes de répartition des richesses, et enfin proprement politiques, en ce qui concerne les techniques démocratiques. Dans tous ces domaines, la Suède a effectivement longtemps brillé. Seule 2009 vient ternir son tableau d'honneur, avec un taux de chômage symboliquement élevé à 9% dès le mois de mai. Du reste, ses performances sont plus qu'honorables. Elle est par exemple le pays le plus démocratique au monde selon le classement 2008 du journal The Economist. Bien entendu, il saurait évidemment absurde de prétendre qu'il n'y ait aucun défauts dans l'économie suédoise. La saturation du marché locatif administré par l'Etat en est un exemple, ou bien encore la rationalisation des moyens budgétaires a détériorié la qualité des services de santé, ou encore l'étatisation peut sembler étouffer la vitalité concurrentielle en certains secteurs. Mais ces ratés n'enlèvent rien aux atouts premiers.


La seconde acception renvoie, plus délicatement, au réalisme d'une transposition des recettes vikings à notre verte Gaule. Ce qui est exposé par nos ingénieurs des mines est assez convaincaint. Ils expliquent ainsi que la confiance des citoyens à l'égard de leurs institutions publiques et la loyauté dont font montre ces dernières à leur endroit est une marque suédoise forte et sans pareille. Il n'y a pas de défiance en ce qui concerne la gestion des deniers publics, et au-delà il y a même une forme de rejet collectif vis-à-vis des baisses d'impôt, d'abord perçues comme annonciatrices de prestations sociales menacées. Il en va différemment de la France où les contribuables applaudissent spontanément à toute promesse de baisse d'impôt. A ce respect institutionnel des uns, il faut ajouter une culture du compromis et du dialogue social, en profonde rupture avec la culture révolutionnaire française. Autrement dit, la société française n'appréhende pas de la même façon l'action politique. Ceci peut expliquer que des résultats obtenus en France soient peu probants, alors mêmes que des techniques similaires produisent leurs effets en Suède. Enfin, cela laisse surtout à penser qu'il est tout simplement impossible de reproduire un modèle suédois chez nous, car cela présupposerait de changer l'esprit d'une nation. Au mieux pourrait-on le mettre en oeuvre sur plusieurs décennies.


Ces observations permettent donc de critiquer la perception du modèle suédois. S'il apparait bénéfique de vouloir s'en inspirer, il faut aussi admettre ne pouvoir l'importer absolument, étant donné l'ampleur des divergences structurelles entre nos deux nations. Et s'il y a mystification béate, elle n'en repose pas moins sur des arguments solides, dont l'onirisme serait peut-être bien sympathique de nous embarquer.


Sur les réformes des années 1990 enfin, il n'est pas inutile d'en faire mention car elles ont tourné la page d'un modèle durablement établi pendant les trente glorieuses. La marche vers l'efficacité du service public, les réformes des pensions et une politique monétaire au service de l'austérité budgétaire ont participé à ce bouleversement. Certains ont cru entendre ici le chant du cygne. Cela permet encore de dire que le modèle suédois n'est pas un carcan immuable, mais parait doté d'un sens aigu des circonstances, dont l'aptitude à négocier le virage de la mondialisation a déjà pu être salué.


Je vis en tout cas les pieds sur ce modèle pour au moins douze mois. Le moindre frisson de la voûte plantaire, si furtif fût-il, et ces réflexions en seront magiquement actualisées.

20 juillet 2009

Pourquoi la Suède comme choix Erasmus?


A l'heure d'une mobilité étudiante largement promue, développée, reconnue et fantasmée, le choix de la destination peut laisser songeur l'étudiant, confronté à une offre le cas échéant pléthorique et armé de critères éventuellement peu réfléchis pour identifier la meilleure option. J'aimerais expliquer ici pourquoi, à mon sens, la Suède constitue un excellent choix.


A l'évidence, la force de l'imaginaire vient pervertir nos grilles d'analyses les plus rationnelles, et je ne veux prétendre réussir à m'en soustraire. Ce qui pousse des milliers d'étudiants européens à se concentrer en Espagne ou à prendre d'assaut l'île de Malte tient d'abord à l'image mentale du soleil, de la fiesta et de la joie de vivre. Tout comme, en ce qui concerne les pays nordiques, le cliché d'une blonde aux formes voluptueuses et aux méthodes de séduction offensives entraine une migration de mâles sudistes, dont les caractères mériteraient sans doute une étude ornithologique approfondie. Je vais cependant tenter de démontrer que ces mouvements ne sont pas strictement motivés par des considérations pusillanimes, en brandissant un triple alibi linguistique, qualititatif et culturel.


Vivre dans un pays de facto anglophone

J'estime que l'utilité première d'Erasmus est linguistique. Or, la plupart d'entre nous brûlons d'un désir d'anglais, langue des affaires et moyen de communication à peu près universel. On chercherait donc, dans cette perspective, à vivre dans un pays naturellement anglophone, d'où d'ailleurs une concurrence généralement très vive sur les destinations d'outre-manche. Mais la Suède est en ce sens une alternative séduisante. En effet, si la langue officielle est le suédois, l'anglais est connu de tous, et mille fois plus maîtrisé qu'en France. Que l'on interroge des passants de tout âge, il vous sera toujours répondu naturellement dans cette langue. Leur accent est généralement léger, et la communication quotidienne permet donc de faire vivre sa maîtrise du langage.

Par ailleurs, les établissements universitaires ont soif d'internationalisation et la mettent en pratique en maximisant les échanges avec les universités étrangères. Je vous invite à consulter des sites comme masterportal ou studyinsweden pour en apprécier l'ampleur. Des programmes de master ont été créés un peu partout, à vocation internationale et pleinement anglophones. Uppsala, Lund et la Stockholm School Of Economics sont peut-être les trois centres les plus célèbres de ce pays, et la proportion d'étudiants étrangers est forte. Cette internationalisation des effectifs étudiants a une conséquence pratique: comme étudiant d'échange, on est dans un milieu authentiquement international, où l'anglais est roi.


Profiter d'un système d'enseignement de haute qualité

Etudier en Suède est également synonyme de qualité de vie, pas seulement pour des raisons strictement socio-économiques, mais surtout parce que les infrastructures sont pensées et financées avec ambition. Les bibliothèques, les transports collectifs, le monde associatif, les principes de formation, les rapports aux professeurs... Tout ceci a été conçu et entretenu dans le but de rendre service aux étudiants, sans raideurs budgétaires à la française. Ainsi, alors même que les enseignements délivrés n'ont pas à pâlir dans les classements internationaux, les frais d'inscriptions sont nuls, il en coûtera 0 euros à l'étudiant désireux de s'inscrire en LLM en Suède, contre environ 4500 euros en Angleterre. Qu'on en juge avec les classements de www.topuniversities.com ; je crois que l'on pourrait multiplier les comparaisons éloquentes.


Jouir d' une culture démocratique intense

Erasmus est aussi l'occasion de découvrir et s'approprier une culture tierce, quand elle n'est pas l'unique refuge d'un alcoolisme nonchalant et d'une sexualité débridée. La Suède m'apparait lourde d'attractivité pour plusieurs raisons, à ce titre.

D'une part, la culture démocratique est fondamentalement enracinée dans ce pays. Je veux dire par là que le respect attaché à la parole de chaque individu, légitimement détenteur d'un regard particulier, est rigoureusement consacré. Manifestement, cette qualité se comprend d'abord par le sens de l'écoute. La politesse de l'interlocuteur suédois en rend compte. Ceci amène à prôner le collectif sur l'individuel, dans l'esprit du dialogue social.

D'autre part, et par prolongement logique, des institutions diverses se sont construites pour permettre la pratique démocratique. Du point de vue étudiant, les nations en sont particulièrement symboliques. Ces structures associatives, qui ressemblent à des sortes de syndicats-fraternités estudiantins et où l'adhésion est obligatoire pour les étudiants suédois, remplissent des rôles d'administration classiquement dévolus à des personnes privées dans des systèmes plus traditionnels. Ou encore, le droit du travail suédois est nettement moins légaliste que le droit du travail français, parce qu'un rôle éminent a été décerné aux partenaires sociaux dans le processus normatif. Ces ressorts techniques me semblent vraiment intéressants, et nul doute que j'en développerai certains aperçus sur ce blog à l'avenir.


Voilà des motifs officiels. Les motifs officieux pourraient quant à eux relever de la passion pour le saumon, fumé ou non, des aurores boréales pour le nord de la Suède, de la vigueur du rock'n'roll sur la scène musicale suédoise, de la proximité d'autres pays dignes de visites -Norvège, Finlande, Russie-, voire de la fascination pour les Victoria Silvstedt et leurs variantes masculines locales. Je vous recommanderais d'ailleurs, pour ces derniers, de ne pas en faire mention sur les lettres de motivation à destination de vos bureaux des relations internationales. Parait-il que ça fait moins sérieux.

18 juillet 2009

Les pirates suédois vogueraient vers la légalité.

Le site The Pirate Bay, aux serveurs hébergés en Suède et à l'audience phénoménale parmi les adeptes du peer-to-peer, serait sur la voie paradoxale de la légalité.


Pour rappel, il s'agit grosso modo d'un annuaire gigantesque référençant des adresses bittorent, soit pour le dire plus simplement des liens vers des fichiers mis en accès commun par leurs détenteurs. Autrement dit, utiliser ce site permet à quiconque de rechercher et télécharger un fichier partagé. Ce fonctionnement n'a en soi rien d'illicite, mais dès lors que des données informatiques protégées par le droit de la propriété intellectuelle sont diffusées, et c'est en pratique le cas avec des téléchargements fréquents de films et morceaux musicaux, alors des questions légales surgissent.


Et elles se posent avec d'autant d'acuité qu'elles sous-tendent de lourds enjeux. Ces débats s'enflamment régulièrement, et pas seulement au sein des assemblées parlementaires. Les producteurs de biens intellectuels soulignent les dangers du point de vue de la création artistique et des équilibres économiques de leurs industries. Les utilisateurs revendiquent leurs droits à profiter d'un vaste marché du bien accessible gratuitement, et affirment parfois l'impact nul de leur pratique de téléchargement sur leur pratique commerciale de consommation. Les artistes se désolent quant à leurs rémunérations évanouies, ou bien parfois se félicitent d'un changement des interfaces avec le public, par la grâce duquel l'artiste deviendrait directement producteur. Certains avancent le défaut d'offre légale comme défaut majeur. D'autres préconisent la pénalisation absolue des procédés de partage de fichiers, au nom de la préservation de l'art. Des problèmes techniques viennent encore rendre plus complexe l'appréhension du peer-to-peer, notamment parce qu'il est très délicat de surveiller des dizaines de millions de connexions simultanées, ou encore du fait des régimes de protection de la vie privée, qui empêchent souvent d'identifier les internautes fautifs. Cette jungle des paramètres vient donc enrichir lourdement la tâche du législateur, et les travaux préparatoires sur loi HADOPI l'illustrent bien.


En Suède, le débat a fait rage, bien que cette dernière s'y soit sans doute exprimée de façon nettement plus courtoise qu'au pays d'Astérix. Deux évènements importants se sont produits récemment. Au premier avril 2009, une nouvelle loi est entrée en vigueur, et permet dorénavant que soient transmises les identités d'internautes coupables de téléchargement. Auparavant ce n'était pas possible, le droit à la vie privée garantissant l'anonymat. Cette mesure a eu un impact fort sur la consommation suédoise, d'après les journaux. Je ne sais pas du tout en quoi consiste son volet répressif, en revanche. Ensuite, le procès du site The Pirate Bay s'est déroulé entre le 16 février et le 4 mars 2009. Une première décision est venue condamner les quatre adminisrateurs du site, avant qu'un appel ne vienne confirmer cette position, le 25 juin 2009. Un recours devrait être introduit à la fois devant la Högsta domstolen suédoise, correspondant judiciaire de notre Cour de cassation, et devant la Cour européenne des droits de l'homme. En tout état de cause, ces décisions sont venues sonner le glas médiatique du modèle utilisé par ses fondateurs, et la baie pirate est désormais détenue par une société des NTIC -Global Gaming Factory X-.


Le nouveau propriétaire doit donc reconsidérer les modalités de fonctionnement. Cette légalisation, qui n'est pas sans rappeler l'histoire de Napster il y a quelques années, pourrait se solder par un système d'abonnement paiement, où chaque utilisateur aurait accès à des données sous cette condition. Une forme d'Itunes amplifié, en quelque sorte. Les nouveaux responsables essaient actuellement de négocier avec les opérateurs intéressés un nouveau mode de fonctionnement. Je serais personnellement surpris qu'une multitude d'accords puisse soudainement germer, car l'encadrement financier de cette économie du partage me semble bien trop difficile à réaliser. De plus, l'industrie du cinéma m'a paru si férocement combative que je l'imagine mal approuver tout à coup l'établissement d'un tel montage.


En l'attente d'un compromis technique en finissant avec ces tensions, le franc succès du Parti pirate suédois témoigne par ici de l'intérêt collectif pour la chose: 7,1 pour cent et un député au Parlement européen lors des élections de juin... Outre-tombe, Khayr ad-Din Barberousse doit jubiler.

16 juillet 2009

De l'intérêt de l'euro en Suède.

Anecdote monétaire qui revêt une indéniable importance pratique du point de vue du citoyen européen, la couronne suédoise est actuellement d'une faiblesse exceptionnelle, avec en conséquence un pouvoir d'achat exceptionnellement accru pour les détenteurs d'euros. La valse des devises n'a peut être pas fini de jouer, mais cette faiblesse de la couronne commence à être durable: elle mine le pouvoir d'achat des touristes suédois depuis début 2009.


L'esprit du dumping monétaire a, à rebours, créé des circonstances extrêmement favorables pour le tourisme en Suède. Pour donner un chiffre frappant, c'est pratiquement 25 pour cent de la couronne qui s'est évanouie en moins de six mois, réduisant drastiquement les coûts de voyage. Cette baisse inédite semble entrainer une vague touristique extarordinaire, à en croire le journal anglophone suédois The Local. Et elle permet également aux étudiants Erasmus de profiter de soldes permanentes sur tous les biens commercialisés. A titre d'exemple, mes dépenses alimentaires sont à peu près inférieures de 15 pour cent à mes anciennes dépenses françaises.


Pourquoi cet effondrement? A en croire Stefan Karlsson, économiste suédois rattaché à l'école autrichienne, quatre raisons seraient à retenir. Sa démonstration est la suivante: premièrement, les marchés sont peu liquides en Suède, ceci étant lié aux dimensions physiques modestes du pays. Or les investisseurs privilégient les liquidités en ces temps de crise, d'où dévaluation. Deuxièmement, les opérateurs bancaires suédois ont connu de sérieux revers dans les économies de l'est, où ils ont beaucoup investi. La crise, renforcée par l'incertitude des pertes à venir, a semé le trouble pour les investisseurs, a là encore entrainé la chute de la couronne. Troisièmement, les exportations suédoises sont étouffées dans un jeu déséquilibré avec les économies baltiques, lesquelles sont en crise, mais par surcroit sujettes à une rythmicité cyclique -le bois notamment-, d'où la baisse de la couronne n'a pu être compensée par des importations accrues. Quatrièmement, la chute tiendrait à la politique monétaire, récemment bouleversée par les gouvernants suédois. La Swedish Riskbank a pratiquement divisé par quatre le taux d'intérêt applicable pour faire face à une croissance très molle, doublée d'un taux d'inflation très élevé.


Je ne sais guère s'il y a lieu d'être optimiste pour la monnaie suédoise. Un récent sondage national est en tout cas venu marquer un désir plus affirmé d'euro; on verra bien ce que l'avenir leur réserve.


En attendant, je suggère à tous les heureux possesseurs d'euros d'en profiter: venez en Suède!

13 juillet 2009

Initiation à l'équitation, sauce suédoise.

Vivre dans la Scanie rurale n'a peut-être pas encore fait de moi un suédois accompli, mais au moins j'ai reçu une initiation, si symbolique fût-elle, à l'équitation. Je suis monté sur un noble animal, pour la première fois depuis ma modeste existence. Ces bêtes me semblent très attachantes, et j'espère bien acquérir des bases tout au long de cette année. Je vous laisse admirer ce beau specimen, lequel répond au doux nom de Lancelot.


11 juillet 2009

"Millennium 1 - Män som hatar kvinnor", Ou comment passer une nuit blanche.

Je viens d'en terminer avec le très connu Millenium, tome 1, ouvrage écrit par un journaliste suédois -Stieg Larsson-, remis à son éditeur juste avant qu'il ne décède accidentellement. Un succès commercial inattendu et un bouche à oreille retentissant ont étendu sa célébrité dans le monde des lecteurs, de quelques nationalités qu'ils soient.


Sur l'intrigue, dont je ne veux évidemment pas retirer toute la saveur en divulgant avec une bêtise magnifique les moindres ressorts, elle plonge le lecteur dans un polar de bonne facture. Un journaliste d'investigation économique, gérant du Millenium, journal engagé qu'il a créé, vient de perdre un procès pour diffamation, intenté par un homme d'affaires contre un papier écrit maladroitement. Les dommages-intérêts et le coup médiatique apparaissent destructeurs tant pour son patrimoine que pour le projet journalistique qu'il a pu créer. Mais cette médiatisation va lui permettre d'être contacté, de façon tout à fait imprévue, par un ancien homme d'affaire, dont l'histoire personnelle pourrait faire changer l'issue de la défaite judiciaire. Ce dernier va donc lui proposer son aide, moyennant une contrepartie spectaculaire: enquêter sur la disparition d'une jeune fille, survenue dans des circonstances énigmatiques, trente six années auparavant. C'est cette enquête qui va consister le coeur du roman, développant par là un scénario prenant, qui m'a valu à titre personnel une nuit blanche tant je n'ai pu me détacher de l'envie de savoir la fin. De plus, au personnage principal va venir s'ajouter un deuxième personnage, autrement plus excentrique, jeune fille à l'aspect gothique et à l'asocialité saisissante.


Voilà des traits généraux du premier tome. Je doute que ce soit, d'un strict point de vue stylistique, de la grande littérature. En revanche le scénario est très bien orchestré, avec un monde de papier bien ancré dans le réel. Un très bon polar, en somme.


Enfin, ce qui m'a évidemment amené à en faire la lecture, c'est le caractère suédois de la chose. L'aventure se déroule principalement à Stockholm et en Laponie, et constamment le texte rappelle ses origines par diverses références culturelles et géographiques. Je le recommanderais à tous, à moins d'exécrer le genre du polar.



Pour information, Millénium se poursuit dans deux autres tomes, qui sont apparemment autant captivants que le premier. Et une adaptation au cinéma existe, mais les critiques se sont montrées assez mitigées.

Danny Robinzon

Les extraits suivants ont été découverts dans une bouteille de coca jetée à la mer, et paraissent avoir été écrits au dos d’un mode d’emploi pour caméscope amateur, d’une taille assez colossale. S’il parait assez miraculeux que la bouteille n’ait pas été engloutie à jamais dans les flots, il faut malheureusement déplorer le mauvais état du manuscrit, rongé dans des proportions extrêmement réductrices. Nous fournissons cette publication pour nos lecteurs, en formulant le souhait qu’elle puisse les avertir quant aux dangers à voguer par les compagnies de croisière de seconde classe. Les passages manquants sont indiqués par des parenthèses.

« Moi, Danny Robinzon, j’ai eu la bêtise de vouloir couler des jours de vacances heureux sur les yachts de la compagnie Reztinpiss Cruises. Si j’ai apprécié les petits déjeuners servis au lit, agrémentés d’un accès télé non stop, j’ai été terriblement déçu par les salles de jeux vidéos et de cinéma, franchement archaïques et vraisemblablement conduites par quelque vieillard amorphe. Mais là n’est pas tout à fait où je veux en venir en rédigeant ces pages. Je veux surtout rendre compte d’un évènement tout à fait classique dans les scénarios catastrophes médiatisés par l’industrie du divertissement, mais dont la survenance réelle m’a quelque peu surpris. Le 3 juin 2009, j’ai été victime d’un naufrage quelque part autour de l’Océanie. Je regrette de ne pas préciser davantage ma localisation, mais je n’ai jamais eu de faible pour la géographie, ce qui m’a conduit à dévoyer les fonctions du navigateur GPS que l’on m’avait offert. J’avais cru bon d’effacer toute la mémoire interne et d’y greffer un sympathique jeu pirate, d’où me suis-je finalement vu en possession d’un appareil dépourvu de sa capacité première. Ce ne fut, toutefois, pas ce problème précis qui vint rompre le cours d’une navigation somme toute paisible.

En vérité, rien ne prédestinait notre moderne bâtiment à sombrer brutalement, et moi-même n’y crus-je pas le moins du monde lorsqu’un message d’alerte vint crisper les nerfs des autres passagers. Habitué aux exercices à vocation pédagogique dans le cadre des alarmes à incendie, je savais que perdre son sang-froid en une telle situation n’eût relevé que de la naïveté la plus grossière. Et sans doute fus-je conforté en cela par un simulateur de vol sur écran extra large, auquel je jouais avec passion lorsque les haut-parleurs se mirent à crépiter sur un rythme angoissé. Alors même que je marquais adroitement un très grand score, mes prouesses aériennes me parurent tout à coup prendre un autre élan, assurément plus saisissant, au quatrième niveau de jeu. Des bruits de tôles dilatées accompagnaient mes cascades célestes, tandis que les ceintures de sécurité factices imprimaient sur mon corps une pression tout à fait réaliste. Si je n’eus pas la chance d’en terminer avec ce quatrième niveau, il me fallut comprendre en un second temps que ces effets spectaculaires n’étaient pas liés à l’outil ludique lui-même, mais à un accident d’une rare ampleur, survenu sur le navire.

Ainsi, m’éloignant non sans difficulté de la salle des plaisirs vidéos, et constatant avec surprise une distorsion sonore métallique très désagréable, je m’empressai d’aller sur le pont. Une vision apocalyptique avait du horrifier les derniers instants de certains passagers, dont les corps, manifestement transportés par les forces de la gravité et embrochés sur des parties contondantes de la carcasse, affichaient désormais une indifférence toute cadavérique. Ces mares de sang, coagulées dans le blanc rouillé et agitées par la fureur des flots déchainés, firent germer dans mon esprit créatif d’audacieuses esquisses scénaristiques. Je rêvai d’un héros fait de pixels, livré à un sort délicat sur un cargo virtuel accablé par la foudre et la terreur collective, avant que des secousses terrifiantes n’amenassent mes considérations à un niveau plus prosaïque. Un distributeur de sodas s’avéra flotter, par la grâce de quelque clin d’œil ridicule à des films comme Titanic, et je m’y agrippai tant bien que mal.

Maudire ma destinée eût été quelque peu pusillanime, et j’affrontai courageusement l’épreuve océanique. Quelques heures d’un combat obstiné avec les forces aquatiques me valurent un répit au moins provisoire, car nous échouâmes miraculeusement dans une crique, les boissons gazéifiées et moi. Ma joie éclata devant ce petit trésor délivré par la Providence. J’entrepris donc de boire avec félicité, allongé sur le sable chaud après ces efforts inhabituels, et m’assoupis.

L’heure du réveil fut un peu moins enthousiasmante. Un insecte d’une taille à peu près comparable à celle d’un ballon de rugby tournait sournoisement dans les parages, et me suggéra indirectement la fuite. Cette retraite me permit d’évaluer la taille de l’îlot, car au cours d’une longue marche je pus empiriquement en estimer les dimensions. Il s’agissait d’un terrain tropical, bordé de plages visuellement très jolies, mais sans la moindre âme vivante. Je dus me résoudre à cette observation : j’étais le seul rescapé du naufrage. Cette pensée me transporta de bonne humeur. Je pourrais, pensai-je, dépenser tout mon temps sur les consoles de jeux vidéos sans que personne ne vînt y opposer un quelconque reproche. De la même façon, rien ne m’empêcherait d’user de la pleine puissance sonore des écouteurs de mon walkman, pour voir autant de films que je le voudrais. Ces premières réflexions n’échappèrent cependant pas à d’autres, bien plus cruelles. Les moyens dont je disposais étaient tout à fait réduits. Les batteries en ma possession ne promettaient que quelques dizaines d’heures d’usage. La nourriture, également, semblait peu porteuse d’espoir. Des trois distributeurs automatiques échoués, seul l’un d’entre eux contenait divers sandwiches et en-cas sucrés. Cette série d’observations tragiques ne me laissait guère d’autre alternative que la sous-nutrition comme perspective d’avenir. C’est donc avec une certaine tristesse que je conçus le futur, et mes yeux s’embuèrent, en dépit des quelques bières fraîches qui avaient survécu à la folie des mers, et dont la consommation m’avait jadis apporté tranquillité et détachement spirituel.

Fort heureusement, une semaine environ après ces premiers pas dans la vie sauvage, je découvris, un peu par hasard, d’autres parties de l’épave, qui avaient été portées par le courant quelques centaines de mètres plus bas de la plage où j’avais étrangement élu domicile. Je ne fus guère ému en distinguant clairement plusieurs caisses de légumes, dont j’avais horreur. Mais je remerciai le ciel pour d’autres contenus, bien plus intéressants : je pus ainsi sauver un téléviseur plat extra large, d’une envergure de 3 mètres, une table de mixage, force bouteilles d’alcool et un congélateur. Bien entendu, je doutais qu’un système d’électricité eût été développé sur une île déserte, mais au moins la civilisation demeurerait à proximité, sous une forme matérialisée. (…)

Je construisis une forme d’autel pour le téléviseur. Les singes me causèrent quelques soucis au début, car ils en griffaient maladroitement la surface par leurs jeux coupables. Mais mes tentatives de rétablissement de l’ordre furent couronnées de succès, et cela me fit un peu oublier le chagrin causé par la perte du coca-cola. Les stocks d’eau douce m’étaient, hélas, inutiles, en l’absence totale d’affinité de mes papilles pour cette boisson si vulgaire. L’eau minérale me servit cependant, pour nettoyer ma télévision, jour après jour. Si seulement un groupe électrogène avait pu venir échouer sur la plage ! (…)

La mort des batteries me plongea dans des tourments psychologiques d’une vigueur inouïe. Je fus à deux doigts de broyer mes veines à l’aide de quelque rocher tranchant, et seul l’espoir de renouer un jour avec le monde normal m’en écarta. Jamais le caractère dramatique de ma situation n’avait paru si écrasant. La dérision du destin voulait, néanmoins, que je connusse une mésaventure encore plus émouvante. Tout ceci dépassait mes constructions mentales les plus cauchemardesques. (…)

Au terme de cinq semaines de ces efforts constants survint un évènement tout à fait particulier : un jeune sauvage échoua sur l’île, inanimé. Je me demandai s’il était plus judicieux de l’assassiner, ce qui l’empêcherait de dilapider mes réserves de façon certaine, ou de respecter le devoir d’hospitalité de façon plus conventionnelle. Mes réflexions furent finalement dépassées par le réveil nerveux du jeune homme, qui s’exprimait dans un langage incompréhensible. Mes questions en anglais ne suscitèrent en lui qu’un rire confondant. Et ses inquiétudes, totalement inintelligibles, me laissèrent songeur. Je reconnus en lui un grand sens artistique corporel, car sa peau cuivrée s’était presque évanouie sous les tatouages. Si cette rencontre fortuite signait peut être la fin d’une routine, je la pressentis davantage comme l’invasion de ma sphère privée, sans que je ne cherchasse à élaborer cette idée, il est vrai.

La cohabitation entraina quelques problèmes organisationnels. En particulier, l’indigène s’obstinait à vouloir me faire goûter certains fruits qui poussaient en abondance sur l’île. Je n’avais jamais été animé d’une confiance illimitée à l’égard de ces choses, et à moins qu’un hamburger encore chaud ne fût pendu à une branche d’arbre je n’eusse jamais accédé aux hypothétiques bénéfices de ce type de produit. Outre ce désaccord d’ordre gastronomique, il survint un autre sujet de discorde, autrement plus fâcheux. L’individu avait pris la liberté d’allumer mon ipod, et l’avait fait choir par une inadvertance terrifiante. Le malheureux appareil était resté bloqué sur la fonction agenda, lequel afficherait désormais perpétuellement la journée du vendredi. Cet évènement me suggéra au moins un patronyme pour ce sauvage, que je nommai Apple. Ses intentions fussent-elles généralement dénuées de mauvais fond, il parvenait immanquablement à provoquer quelque désastre de la sorte, et ce dès les premières journées qui suivirent ce premier incident. La tragédie la plus symbolique en fut certainement la chute du téléviseur, dont l’écran se rompit un beau jour avec fracas, alors qu’Apple, en rien étranger à cela, s’étonnait néanmoins quant à sa fragilité. Ma douleur déchira tout mon être, et à jamais j’en fus affecté. Retrouver un semblable écran, pensai-je avec désolation, ne compenserait jamais l’acuité de la peine. J’avais le sentiment qu’Apple avait versé de l’huile brûlante sur des plaies sanguinolentes, ou du moins supposai-je que l’affect en était similaire.

(…)

Ces diverses observations amèneront peut être le lecteur de mon message à me localiser, voire me secourir s’il en a la possibilité. Je ne crois guère en la faculté de cette bouteille en plastique à traverser les eaux sur de gigantesques distances, mais si cela peut se produire, alors j’en serais vivement reconnaissant. Il me parait maintenant que ces aventures m’ont radicalement changé. Apple, que je dénigrais longuement à mes débuts, a pris un relief nouveau quand il a compris comment jouer à Tennis Hell Blood III, charmante création artistique héritée de l’ancienne salle de jeux du yacht, dont le scénario, relativement simple, consiste à décapiter ses adversaires virtuels sur un terrain de tennis. Nous avons pu ainsi créer une forme de lien unique, peut être vouée à se développer jusqu’aux limites de la batterie. Aimer Apple ne signifie pas pour autant tout lui pardonner, et je n’effacerai jamais de mon esprit le bouleversant décès de la boîte à images.

Par manque de papier j’en termine ici avec ces étranges évocations de la vie sauvage. Que quelqu’un puisse me lire, s’il vous plait !

X. Y., naufragé du 3 juin 2009. »

Nos lecteurs partageront certainement notre étonnement à la lecture d’un papier si original. Les naufrages sont statistiquement exceptionnels dans les années 2000, et cette très curieuse mésaventure n’est pas sans évoquer des temps bien plus funestes dans l’histoire de la navigation maritime. Cela en renforce d’autant sa singularité.

D.D., correspondant de Perth.