21 juillet 2009

Le modèle suédois, c'est quoi?

La scène politique française, et ce depuis quelques années, est presque devenue le théâtre de l'exaltation quotidienne du modèle suédois, ou plus largement scandinave. Mais ce modèle dont on nous parle tant, c'est quoi au juste? Recèle-t-il donc tant de qualités que nous soyons assez crétins pour ne pas le dupliquer illico? Est-il au contraire excessivement mystifié, alors même que structurellement fragile? Son acte de décès n'a-t-il pas été formellement établi, sous les coups des politiques publiques nationales, conduites depuis les années 1990?


Avant de présenter non sans mégalomanie quelques réponses synthétiques, je voudrais signaler la parution récente d'un ouvrage assurément intéressant à ce sujet. Il est intitulé Le modèle suédois, un malentendu?, rédigé par Messieurs Huteau et Larraufie -élèves ingénieurs- , publié aux Presses de l'Ecole des Mines de Paris. Il a été gracieusement offert, 200 pages version PDF, au sénateur Alain Lambert, qui l'a lui-même mis en accès libre par voie de téléchargement. Didier Migaud et Alain Lambert, célèbres géniteurs de la LOLF pour tous les fanatiques du droit budgétaire, ont notamment été interviewés durant son élaboration. Ceci doit déjà sonner comme un avertissement: l'essentiel du débat tient aux finances publiques. On pourrait pratiquement résumer la problématique à l'histoire d'une répartition des fonds publics, qu'il s'agisse d'aspects fiscaux ou relevant de la protection sociale.


Pour lever d'emblée le suspense sur la thèse du livre en question, il est soutenu qu'il ne faut point suivre corps et âme l'exemple suédois, parce qu'applicable uniquement dans son contexte propre -culturel en particulier-, mais s'inspirer toutefois de qualités avérées, lesquelles ont démontré leur efficacité économique. Ces assertions conclusives ont l'air un peu spécieuses vues de cette façon, mais elles se fondent sur l'étude fouillée qui les précède.


Au plan terminologique, la notion de modèle renvoie à deux dimensions. Il y a, comme pour l'enfant-modèle, quelque chose de l'ordre de l'exemplaire, qu'il faut répéter. Mais il y a aussi, comme les modèles de CV qui viennent sauver les jeunes chercheurs d'emplois en manque d'inspiration, quelque chose de l'ordre du transposable, que l'on peut reproduire ailleurs. Le modèle suédois est donc à analyser sous ces deux acceptions.


La première se fonderait sur des vertus objectives, qui sont désignées en économie sous les termes de croissance forte, chômage faible, indice de développement humain élevé, mais aussi sous l'angle de la justice sociale c'est-à-dire en termes de répartition des richesses, et enfin proprement politiques, en ce qui concerne les techniques démocratiques. Dans tous ces domaines, la Suède a effectivement longtemps brillé. Seule 2009 vient ternir son tableau d'honneur, avec un taux de chômage symboliquement élevé à 9% dès le mois de mai. Du reste, ses performances sont plus qu'honorables. Elle est par exemple le pays le plus démocratique au monde selon le classement 2008 du journal The Economist. Bien entendu, il saurait évidemment absurde de prétendre qu'il n'y ait aucun défauts dans l'économie suédoise. La saturation du marché locatif administré par l'Etat en est un exemple, ou bien encore la rationalisation des moyens budgétaires a détériorié la qualité des services de santé, ou encore l'étatisation peut sembler étouffer la vitalité concurrentielle en certains secteurs. Mais ces ratés n'enlèvent rien aux atouts premiers.


La seconde acception renvoie, plus délicatement, au réalisme d'une transposition des recettes vikings à notre verte Gaule. Ce qui est exposé par nos ingénieurs des mines est assez convaincaint. Ils expliquent ainsi que la confiance des citoyens à l'égard de leurs institutions publiques et la loyauté dont font montre ces dernières à leur endroit est une marque suédoise forte et sans pareille. Il n'y a pas de défiance en ce qui concerne la gestion des deniers publics, et au-delà il y a même une forme de rejet collectif vis-à-vis des baisses d'impôt, d'abord perçues comme annonciatrices de prestations sociales menacées. Il en va différemment de la France où les contribuables applaudissent spontanément à toute promesse de baisse d'impôt. A ce respect institutionnel des uns, il faut ajouter une culture du compromis et du dialogue social, en profonde rupture avec la culture révolutionnaire française. Autrement dit, la société française n'appréhende pas de la même façon l'action politique. Ceci peut expliquer que des résultats obtenus en France soient peu probants, alors mêmes que des techniques similaires produisent leurs effets en Suède. Enfin, cela laisse surtout à penser qu'il est tout simplement impossible de reproduire un modèle suédois chez nous, car cela présupposerait de changer l'esprit d'une nation. Au mieux pourrait-on le mettre en oeuvre sur plusieurs décennies.


Ces observations permettent donc de critiquer la perception du modèle suédois. S'il apparait bénéfique de vouloir s'en inspirer, il faut aussi admettre ne pouvoir l'importer absolument, étant donné l'ampleur des divergences structurelles entre nos deux nations. Et s'il y a mystification béate, elle n'en repose pas moins sur des arguments solides, dont l'onirisme serait peut-être bien sympathique de nous embarquer.


Sur les réformes des années 1990 enfin, il n'est pas inutile d'en faire mention car elles ont tourné la page d'un modèle durablement établi pendant les trente glorieuses. La marche vers l'efficacité du service public, les réformes des pensions et une politique monétaire au service de l'austérité budgétaire ont participé à ce bouleversement. Certains ont cru entendre ici le chant du cygne. Cela permet encore de dire que le modèle suédois n'est pas un carcan immuable, mais parait doté d'un sens aigu des circonstances, dont l'aptitude à négocier le virage de la mondialisation a déjà pu être salué.


Je vis en tout cas les pieds sur ce modèle pour au moins douze mois. Le moindre frisson de la voûte plantaire, si furtif fût-il, et ces réflexions en seront magiquement actualisées.

2 commentaires:

  1. Bonjour, tout d'abord merci à toi de partager avec nous, lecteurs de types divers et variés, tes impressions, réflexions et découvertes sur la Suède.

    Quant au modèle suédois et à l'envie de certains, d'un mimétisme du système français vers un tel modèle. J'avais été interpelée il y a quelques temps par ce "classement du pays le plus démocratique" de The Economist, plaçant en tête la Suède.

    L'analyse que tu fais suite à la lecture de cet ouvrage et ta propre expérience corrobore ce qu'il m'avait semblait comprendre. La simple différence de vécu et de mentalité qui en découle est d'une importance.

    C'est avec plaisir que je parcourrai également cet ouvrage pour une vision, je l'espère, plus critique des différences entre nos deux modèles.
    Cordialement.

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  2. Merci à vous pour cet article et pour m'avoir fait découvrir cet ouvrage !
    Etudiante erasmus en Autriche, je dois faire un exposé sur la politique bancaire suédoise face à la crise de 2008 (en Allemand...) et je pense qu'il va m'être très utile !

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