5 octobre 2009

Laval et Viking, angoisses d'un modèle social?


La jurisprudence communautaire n'émeut généralement guère l'opinion publique, si déconnectée des préoccupations de chacun, si encombrée d'une terminologie et d'un appareil procédural abscons. Parfois cependant, les décisions frappent la réalité avec force. Preuve en est de deux arrêts qui ont rencontré un écho médiatique inédit dans l'Europe du Nord: les affaires Laval et Viking.


Ces deux décisions présentent force similitudes. Rendues toutes deux fin 2007, elles traitent d'un même problème à savoir la tension entre liberté communautaire de prestation de services et droit du travail national. Pour résumer l'idée le plus simplement, disons que l'Europe communautaire s'est fixée un but de libéralisation dans les 27. Par libéralisation, comprenons que l'on cherche à assurer une circulation la plus absolue de certaines entités. Ces entités peuvent être des personnes, des marchandises, des capitaux ou encore des services. L'objectif étant d'égaliser les conditions d'accès au marché européen pour tous ses citoyens. Par exemple un avocat titulaire d'un diplôme français doit pouvoir prester son service juridique dans un autre Etat-membre, avec un traitement égal par rapport à l'avocat formé localement. A contrario on ne pourrait admettre toute discrimination fondée sur la nationalité. Ainsi un Etat-membre ne pourrait légiférer pour entraver l'importation de certains produits venant d'autres pays européens, sous quelque prétexte fallacieux. La libéralisation des services, portée par la fameuse directive dite Bolkestein, obéit à cette même logique.


Toutefois, cette libéralisation fait souvent peur. L'idée cauchemardesque qui pourrait bien être réalisée tient à l'idée du dumping social. Imaginons une compagnie estonienne détachant des salariés en Suède par exemple, pour assurer un service de construction d'école. Elle respecte une convention collective conclue en Estonie. On veut lui faire signer une convention collective suédoise, mais elle refuse obstinément. Des grèves s'ensuivent, le tout va au contentieux, un recours est introduit devant la CJCE, et en fin de compte une décision est rendue pour donner tort aux prétentions suédoises. Voici résumé grossièrement l'arrêt Laval. La conséquence pratique directe de cela, c'est donc que l'entreprise estonienne peut payer ses salariés détachés conformément au SMIC conventionnel estonien, sur le territoire suédois. On imagine le fossé béant pouvant séparer les deux Etats, et l'angoisse des travailleurs suédois devant cette concurrence terrible ainsi constituée. Le risque serait donc de vouloir, par souhait de préserver la compétitivité des travailleurs, de vouloir aligner les salaires par le bas.


Le cas Viking est très proche. Il s'agissait d'une compagnie finnoise de transport maritime Vikingline, qui cherchait à immatriculer un de ses navires en Estonie. Ceci permettrait évidemment de limiter ses coûts salariaux en employant un personnel à coût amoindri. S'en est ensuivie une action de protestation syndicale et un contentieux, lequel a finalement entrainé une décision communautaire donnant raison au prestataire de services. Là encore la crainte du dumping social est avivée.


Ces deux affaires marquent les esprits parce qu'elles paraissent politiquement très symboliques. Finlande et Suède, deux Etats décrits comme parmi les modèles les plus protecteurs des salariés, se voient refusés la pertinence de leurs règles collectives au bénéfice d'une Europe libérale, et au bénéfice des Etats d'Europe de l'est, aux coûts bien plus légers. Et celle-ci semble bien permettre en pratique un certain dumping social. Les commentateurs ont été souvent surpris et critiques vis-à-vis du raisonnement conduit par les juges communautaires. Il eût été souhaitable, sans doute, d'aller au-delà de la lettre des textes pour rejoindre un esprit plus social. Affaires à suivre.

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