23 septembre 2009

Les salaire suédois, modifiables à l'envie?


Une grande différence séparant notre droit du travail de son homologue suédois tient à la différence entre normes légales et normes collectives. Autrement dit, la différence distinguant les règles d'origine législative, élaborées essentiellement par les parlementaires, des règles d'origine collective, élaborées par les syndicats et les entreprises dans le cadre de négociations. Alors qu'en France le législateur tient les rênes, du moins traditionnellement, des normes du travail, la Suède donne à peu près toute latitude aux partenaire sociaux.


Pour rappel, la France n'est pas non plus totalement absente de la négociation collective, bien au contraire. Les conventions collectives, c'est-à-dire ces contrats conclus après d'âpres négociations entre employeurs et représentants salariés, contiennent un très grand nombre de règles à destination des salariés et constituent le quotidien de tout juriste spécialisé en la matière. Mais à la question de savoir ce que peuvent décider les partenaires sociaux, il y a souvent une réponse limitative d'origine légale. Autrement dit, il y a fréquemment des seuils minimum fixés par le législateur, et en-deçà desquels les partenaires sociaux ne peuvent descendre. L'exemple du salaire est éloquent: le SMIC est annuellement identifié par le législateur, le Code du travail établissant le respect de ce salaire minimum. Bien entendu, rien n'empêche les partenaires sociaux de s'accorder sur un salaire minimum supérieur au SMIC, lequel devra dès lors être appliqué, faute de ne pas respecter les conventions collectives. Mais cette dérogation ne s'effectuera donc que dans un sens favorable au salarié, ce que la doctrine a qualifié de principe de faveur dans la hiérarchie des normes du droit du travail.


Or la Suède, forte d'un dialogue social historiquement ancré, jouit d'un régime très favorable aux partenaires sociaux. La question des salaires, pour reprendre cet exemple, l'illustre: il n'existe pas de salaire minimal suédois, posé par la loi. Seuls existent des seuils minimum fixés par les conventions collectives. Aussi est-il théoriquement possible de modifier "à l'envie" le salaire suédois, en d'autres termes conformément à l'accord conclu entre les parties. De façon générale, disons que dans les terres scandinaves le Code du travail n'existe pas et laisse la part du lion aux normes collectives. Cela signe probablement une réussite sociale, aboutissement d'un modèle fondé sur la logique du compromis et de la responsabilité collective.


Ce modèle brillant de vivacité collective n'a pas connu une histoire uniforme et tranquille, toutefois. Au début des années 1990, la Suède a été atteinte d'une crise économique dont certains ont identifié une des causes dans l'incapacité à réformer un modèle de négociation collective. Les salaires ont été négociés trop à la hausse, pour résumer l'idée principale, alors que des temps d'austérité s'imposaient. L'économiste suédois Lund Christer relevait avec justesse, dans un papier écrit en 1991 -Recent trends in collective bargaining in Sweden dans The crisis of the Swedish model-, qu'il faudrait trancher entre deux alternatives. La première, continuation du système suédois classique, impliquerait une responsabilité collective remise au goût des nécessités monétaires. La seconde, nouvelle car inspirée du marché, impliquerait d'utiliser les variables d'offre et demande pour ajuster les salaires. Alors que la première solution conduirait à préserver un modèle centralisé de négociation collective, l'autre voie tendrait davantage à l'éclatement et la dispersion du modèle. Or, a posteriori, il apparait évident que la second chemin a été emprunté. C'est d'ailleurs une tendance générale affectant l'Europe des années 1990, comme le soulignait l'intéressant rapport Supiot en 1999 -Au-delà de l'Emploi, sous la direction d'Alain Supiot-. Les niveaux de négociation subissent un double mouvement de localisation et d'internationalisation du fait de la mondialisation. France et Suède n'ont pas été épargnées.


Enfin, la force des normes collectives suédoises réside certainement pour large part dans le degré d'investissement collectif de ses salariés. A comparer France et Suède en 2006, selon les statistiques de l'OCDE, le taux de syndicalisation est de 8% pour l'un et de 80% pour l'autre, soit une distorsion tout à fait spectaculaire. Sans doute peut-on regretter la faiblesse française en la matière, laquelle tend vraisemblablement à vider les syndicats de leur légitimité au plan de l'imaginaire collectif. Difficile en tout cas d'envisager un changement purement juridique pour redresser la barre. L'appropriation du sens collectif parait d'abord un challenge social, condition d'un jeu collectif stimulé.


1 commentaire:

  1. La France est peut-être sur les traces de la négociation collective suédoise, avec ces réformes ayant porté modernisation du travail de 2008... Wait and see!

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